L'auto est une formidable salle d'écoute, mais elle peut jouer de vilains tours aux conducteurs, selon le type de musique choisi.

Il y a une dizaine d'années, Warren Brodsky a vu un sondage expliquant que l'automobile était devenue la salle d'écoute préférée de nombreux mélomanes. Comme il est psychologue spécialiste de la musique, il a décidé d'étudier l'écoute au volant. Il est aujourd'hui aux commandes d'un projet pour créer des morceaux de musique anti-accidents.

«J'ai réalisé qu'il y avait peu d'études sur la question et que la plupart avaient été faites en simulateur, explique M. Brodsky, de l'Université Ben-Gourion. J'ai décidé de mener mon étude avec la conduite réelle et d'analyser le type de musique, ce qui n'avait pas été fait avant.»

Résultat: deux fois plus de conducteurs brûlaient des feux rouges quand ils écoutaient du techno, dont le rythme varie entre 120 et 140 pulsions par minute, plutôt que de la musique lente, dont le rythme est de 40 à 70 pulsions par minute. La première étude de Brodsky a été publiée en 2002 dans la revue Transportation Research.

Les conducteurs les plus pressés sont ceux qui réagissent le plus fortement au rythme. Durant l'étude, ils n'allaient pas plus vite si la musique passait de lente à modérée, mais ils se mettaient à aller beaucoup plus vite quand la musique passait de modérée à rapide: leur taux de feux rouges brûlés doublait, de 0,8 à 1,7%. Les conducteurs plus lents, de leur côté, se sont mis à moins respecter les feux rouges quand le rythme de la musique a un peu augmenté: de 0,4% sans musique à 0,55% avec de la musique lente et à 0,75% avec de la musique modérée. Mais ils modéraient leurs transports quand ils écoutaient du techno (0,45% d'infractions aux feux rouges).

En d'autres mots, la musique modérée rend les conducteurs lambins semblables aux conducteurs pressés.

Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour produire de la musique «antiaccident»? «La musique antiaccident ne doit pas seulement être plutôt lente ou modérée, mais doit aussi ne pas susciter de souvenirs, ne pas être accrocheuse, dit M. Brodsky. C'est difficile de trouver un compositeur qui accepte de composer une telle pièce. C'est pour cette raison que j'ai décidé de composer des pièces antiaccidents et que les autorités israéliennes responsables de la sécurité routière ont accepté de me financer pour vérifier si le CD est efficace.»

Les automobilistes vont-ils réellement écouter de la musique peu inspirante, rappelant vaguement une muzak un peu marimbée? La musique de Kenny G reviendra-t-elle à la mode?

«Si vous êtes fatigué ou un peu ivre et que vous craignez d'avoir un accident, ça peut être une motivation suffisante», dit M. Brodsky, dont le champ de travail principal porte sur la thérapie musicale et sur les habitudes des musiciens professionnels.

Le silence est-il meilleur que la musique? «Pas nécessairement et surtout pas pour les jeunes, dit M. Brodsky. Ça génère de l'anxiété pour eux, parce qu'ils sont habitués à avoir toujours des stimuli.»

Un autre groupe à traiter à part est justement composé de musiciens: dans l'étude initiale, ils n'étaient pas plus pressés avec le techno qu'avec Kenny G. «Ils ont peut-être plus de facilité à contrôler leurs réactions à la musique, dit le psychologue israélien. C'est un peu comme un parfait bilingue qui tape à la machine: sa performance sera la même dans les deux langues, alors qu'une personne moins bilingue tapera plus lentement dans sa deuxième langue.»

Depuis la publication de l'étude initiale, en 2002, d'autres psychologues se sont penchés sur la musique en situation de conduite réelle. Une équipe ontarienne a conclu que la musique abaisse le stress dans les bouchons et diminue l'agressivité, alors que des psychologues américains ont calculé, sur la base de dossiers de conduite, qu'écouter la radio diminue le risque d'avoir un accident la nuit sur les routes rurales. De plus, une étude australienne sur simulateur avait conclu, en 1999, que la musique augmentait l'attention dans le champ de vision central mais la diminuait en périphérie. D'une manière générale, plusieurs études ont conclu que les sons très forts diminuent la rapidité des réactions.

Rap coupable

En 2009, le magazine britannique Auto Trader a fait un sondage auprès de ses lecteurs sur leurs habitudes d'écoute au volant. Les cobayes devaient dire si différents genres de musique les rendaient plus calmes ou plus agressifs lorsqu'ils conduisaient. La catégorie comprenant le rap et le hip-hop arrivait en tête de liste des mauvaises influences: un automobiliste sur cinq trouvait que ce genre de musique le rendait agressif, contre 1% qui rapportait un effet calmant. Pour la musique classique, c'était le contraire: la moitié des répondants se disaient apaisés et seulement 1% agressifs en écoutant du classique. La pop, le dance et le rock étaient aussi beaucoup moins néfastes que le rap, seulement 2%, 6% et 6% des automobilistes rapportant que ces types de musique les rendaient agressifs.

Photo archives Bloomberg News

Le rappeur 50 Cent.

Ministre mélomane

Peter Ramsauer est ministre des Transports de l'Allemagne. Il est aussi pianiste. Un plus un faisant deux, il a décidé d'enregistrer, avec l'orchestre de l'Opéra allemand de Berlin, des Adagio de Mozart, dans le but de calmer les ardeurs des automobilistes. M. Ramsauer a en effet rencontré des chercheurs qui lui ont affirmé que la musique classique adoucit les moeurs, en général et possiblement sur la route. L'enregistrement est vendu depuis l'automne dernier à prix modique sur le site web allemand kravag.de. Ironique, pour le pays de l'autobahn...

Photo fournie par Kravag

Peter Ramsauer.