Les hôtels et restaurants huppés doivent-ils être irrémédiablement associés aux voitures de luxe? L'un ne va pas sans l'autre, se dit-on souvent. Et la croyance populaire veut qu'il y ait une connivence entre l'établissement et le propriétaire d'une Ferrari, par exemple, afin de mettre en valeur l'un et l'autre. Qu'en est-il réellement de cette soi-disant pratique appelée car staging ou mise en scène de voiture?

Devant l'hôtel Place-d'Armes, dans le Vieux-Montréal, François Guérin voit passer de temps à autres des Bentley, Rolls-Royce ou Porsche. Le valet ne fait pas que les suivre du regard, il les conduit habituellement au garage souterrain de l'établissement. Des voitures de luxe qui ne représentent qu'une infime partie du parc automobile des lieux. Berlines intermédiaires, VUS et multisegments se retrouvent le plus souvent côte à côte. Des véhicules volumineux qui font quelque peu pester. «C'est un problème, il n'y a plus de place pour les stationner, on aimerait avoir de plus petites voitures», dit-il au passage.

Même remarque à l'hôtel Intercontinental: «Les VUS et multisegments sont trop gros, trop hauts pour le stationnement. On les met en face, au Palais des congrès», confie Francis, voiturier et préposé à l'accueil.

Square Victoria, le Hummer d'un client reste garé devant le W. «Trop gros, trop haut» pour entrer dans le garage. Le client est averti, l'hôtel payera la contravention éventuelle s'il le faut.

La présence de ce véhicule devant l'hôtel est un cas de force majeur, si l'on peut dire. Mais le reste du temps? «Des fois, on fait du car staging en soirée, l'été, c'est une belle visibilité pour l'hôtel, confie Maxime, ambassadeur au W depuis deux ans. Mais il n'y a pas de directive comme telle. On demande au client, on prend un risque avec le débarcadère (limité à 15 minutes), passible de contravention, payée neuf fois sur dix par l'hôtel.»

Au centre-ville de Montréal, au Westin comme au LH Hôtel ou à l'Intercontinental, on affirme ne pas faire de car staging et il n'y a aucune directive en ce sens.

Boulevard Saint-Laurent, Vito Cristiano, gérant du restaurant Buona Notte, dit ne pas le faire non plus, à moins d'avoir une place de stationnement libre adjacente au débarcadère. «C'est sûr qu'une belle voiture aide, ajoute une plus-value, comme un beau décor, de belles serveuses. Il faut attirer les gens par n'importe quel moyen. Et si j'ai la possibilité d'accommoder un client, je vais le faire», ajoute-t-il.





Une volonté du client

Car étrangement, si «car staging il y a, c'est la plupart du temps à la demande d'un client plutôt qu'à l'initiative de l'établissement. Et la raison est souvent la même d'un lieu à l'autre. On ne veut pas seulement montrer sa voiture, on veut avoir un oeil dessus.

«Les Ferrari, Lamborghini sont souvent laissées devant l'hôtel. C'est à la demande du client qui est plus nerveux et pour éviter les accrochages», témoigne Maxime.

«Souvent, c'est le client qui veut avoir la voiture en vue le soir. C'est aussi pour éviter des bévues. Pour les voitures de collection, les clients nous disent aussi: «Laissez-la là devant» ou «Je vais la garer moi-même»», ajoute François Guérin.

«Parfois, le client ne veut pas qu'on touche à sa voiture, dit Francis. (...) À l'Intercontinental, on n'a pas plus de 15 minutes de débarcadère. Si le client veut voir sa voiture devant, on demande l'autorisation à notre gérant. Si c'est non, elle est placée de l'autre côté de la rue. On ne veut pas non plus obstruer la vue de notre porte d'entrée.»

Il n'est pas rare qu'un client d'un hôtel ou d'un restaurant prenne le risque de devoir payer une éventuelle contravention pour laisser sa voiture devant l'établissement en lieu et place du débarcadère. Certains clients sont prêts à payer l'amende.

Au Buona Notte, on utilise habituellement si possible les places de stationnement adjacentes au débarcadère. Dans ce cas, «parfois, c'est le client qui paye, parfois on paye. C'est un service de plus, comme le vestiaire. On l'offre au client s'il y a une place de stationnement», explique Vito Cristiano.

Dans l'arrondissement Ville-Marie, la signalisation des débarcadères est «assez bien respectée en général» par les établissements. «Mais certains restaurants au cours de certaines périodes abusent, comme pendant la période du Grand Prix. Le car staging n'a toutefois pas l'air d'être une pratique courante. C'est exceptionnel», affirme Jacques-Alain Lavallée, chargé de communication de l'arrondissement.

Au centre-ville de Montréal, les établissements n'ont pas suffisamment de place pour se payer systématiquement le luxe d'exposer les voitures d'exception des clients. En dehors des centres urbains, on peut penser que oui. «On ne fait pas vraiment de car staging, objecte Marie-Josée Forbes de l'hôtel Quintessence à Mont-Tremblant. On a seulement un stationnement extérieur et un porche. On peut avoir de très belles voitures en dessous du porche. Une Ferrari va être stationnée dessous plus qu'une autre voiture parce qu'elle a plus de valeur. Mais on n'utilise pas ça vraiment à titre de branding

Si ce n'est pas du placement de produit, c'est du traitement de faveur. D'une manière ou d'une autre. À défaut de car staging...

PHOTO LIONEL CIRONNEAU, ARCHIVES AP

Une voiture de luxe attire toujours les regards.