La réalité dépasse la fiction. La formule a tellement été utilisée qu’elle en est usée, mais aucune autre n’est plus appropriée pour décrire le magnifique spectacle Moi, dans les ruines rouges du siècle, repris chez Duceppe après un hiatus de 12 ans.

En effet, cette pièce écrite et mise en scène par Olivier Kemeid raconte la vie hors norme du comédien québécois d’origine ukrainienne Sasha Samar. Kidnappé par son père à l’âge de 3 ans, il fera de la recherche de sa mère l’une des principales quêtes de sa jeunesse. Or, trouver quelqu’un en URSS n’est pas aisé lorsqu’on n’est pas du KGB…

Ayant pour principale toile de fond les dernières années de l’URSS avant l’arrivée de la perestroïka et l’accession à l’indépendance de l’Ukraine, cette production est portée à bout de bras par Sasha Samar lui-même. Cet acteur a la trempe des plus grands et il se fait beaucoup trop rare sur nos scènes, nos écrans. Cette pièce (d’abord présentée au Théâtre d’Aujourd’hui en 2012) nous le prouve hors de tout doute.

L’acteur de 55 ans arrive ici à incarner les joies de la petite enfance, l’admiration d’un gamin pour son père et le désespoir ressenti devant l’absence de celle qui l’a mis au monde. Ses yeux encore juvéniles s’illuminent d’une joie enfantine pour se parer plus tard de larmes devant l’injustice de son sort. L’acteur est de toutes les scènes et il réussit à capter notre regard à tous les instants.

Autour de lui gravitent six interprètes tantôt émouvants, tantôt drolatiques. Jean Maheux se tire fort bien d’affaire dans le rôle du père autoritaire mais aimant, qui veut que son fils réussisse là où lui a échoué. La mère est incarnée avec beaucoup de tendresse par Marie-France Lambert. Geoffrey Gaquère, lui, est hilarant dans la peau de l’acteur personnificateur de Lénine. Quant à Sophie Cadieux, elle est un brin survoltée (et inutilement criarde) lorsqu’elle prend les habits de Ludmilla, l’amoureuse très intense de Sasha. Rien qui ne saura se replacer au fil des représentations…

Olivier Kemeid a choisi cette fois d’ajouter deux nouveaux acteurs à la distribution, soit Peter Meltev et Aliona Munteanu. Ces derniers participent notamment à une scène chantée à la gloire de l’Ukraine, scène qui prend une résonance particulière alors que l’actuel conflit russo-ukrainien entame sa troisième année.

Deux facettes

PHOTO DANNY TAILLON, FOURNIE PAR DUCEPPE

Côté cuisine, Jean Maheux et Marie-France Lambert incarnent les parents de Sasha.

Le metteur en scène a aussi choisi de diviser en deux sections distinctes l’immense scène du Théâtre Duceppe : côté cuisine et côté salon, telles deux facettes d’un même décor au dénuement tout soviétique. On voit mal comment Olivier Kemeid aurait pu faire mieux, mais n’empêche : les personnages en pleine crise intérieure semblent perdus dans cet espace trop vaste qui est souvent ingrat pour les pièces au propos intimiste, écrites et jouées à hauteur d’homme.

Heureusement, l’émotion vive qui étreint Sasha Samar arrive tout de même à passer de la scène à la salle. Et c’est dans un silence où on entendrait une mouche voler que Moi, dans les ruines rouges du siècle se termine.

Parce que son acteur principal nous émeut et nous réjouit, parce que ce texte est terriblement bien écrit et parce que l’Ukraine a besoin d’être (re)découverte autrement que par cette guerre qui fait les manchettes, ce spectacle est à voir impérativement.

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Moi, dans les ruines rouges du siècle

Moi, dans les ruines rouges du siècle

Texte et mise en scène d’Olivier Kemeid. Avec Sasha Samar, Jean Maheux, Marie-France Lambert, Geoffrey Gaquère et Sophie Cadieux.

Théâtre Duceppe, Jusqu’au 30 mars

8/10