La Dre Joanne Liu n’est pas de celles qui aiment se placer sous le feu des projecteurs. Ses exploits, la Québécoise les a accomplis dans la boue et le sang des pays meurtris par les guerres, les déplacements de population, les épidémies. Une émouvante pièce de théâtre, librement inspirée de son parcours et de ses réflexions, lui est consacrée.

Intitulée Nos Cassandre, la pièce présentée à Espace Libre est le fruit d’échanges entre l’ancienne présidente internationale de Médecins sans frontières (MSF) et la dramaturge Anne-Marie Olivier. Cette dernière a de plus puisé dans certaines déclarations publiques faites par Joanne Liu, notamment au Conseil de sécurité des Nations unies, pour écrire la trame de son spectacle.

La pièce s’ouvre dans une classe du primaire de la région de Québec. Une fillette de 10 ans fait un exposé oral sur les pommes vertes, son fruit préféré. Ce fruit, elle a cessé de le manger lorsqu’elle a su qu’il provenait de l’Afrique du Sud, où sévissait l’apartheid.

Cette conscience aiguë des injustices sociales et de la souffrance des peuples a mené la fillette à lunettes à parcourir le monde pour faire de la médecine de guerre.

De Haïti aux prisons de la Libye en passant par le Libéria ou le Québec aux prises avec une épidémie de COVID-19, la pièce retrace le parcours de cette femme inspirante par ses gestes, sa droiture et ses paroles sans compromis. Ceux qui l’ont vue à Tout le monde en parle le savent : la Dre Liu n’a jamais eu la langue dans sa poche.

Même Barack Obama a goûté à sa verve tranchante lors d’un appel téléphonique suivant une frappe américaine sur un hôpital de MSF en Afghanistan. « Une erreur », a plaidé le président. Des patients ont péri brûlés dans leurs lits ; MSF a perdu plusieurs employés. Joanne Liu n’avait ni le temps ni l’envie pour des courbettes diplomatiques, comme on le voit dans Nos Cassandre.

Ce coup de fil tendu entre deux Prix Nobel de la paix (MSF a remporté cette distinction en 1999, Obama en 2009) constitue un des moments forts de cette pièce où on sent poindre l’indignation, la révolte, mais aussi l’impuissance de cette femme inarrêtable, pour qui « choisir la vie » est la seule chose qu’on puisse faire.

Avec une économie de moyens (un mur de toile et quelques paravents suspendus qui glissent sur des rails), le metteur en scène Frédéric Dubois a choisi de mettre l’accent sur les mots et les situations, sans les enrober d’effets superflus. La vérité crue et la douleur provoquée par la cruauté des hommes se passent d’artifices.

PHOTO LUCILE PARRY-CANET, FOURNIE PAR ESPACE LIBRE

Phara Thibault (à gauche) et Jade Barshee interprètent Annie et Joanne, amies depuis l’enfance.

Dans le rôle de Joanne Liu, Jade Barshee est lumineuse. Elle passe en un instant de l’enfant rieuse à l’adulte révoltée et impatiente. Elle sait aussi incarner avec brio le côté très cartésien de Joanne Liu. Pas besoin de cris ni de pleurs pour nous faire voir les paysages intérieurs de cette femme qui ne trouve apaisement que dans l’art.

Claudiane Ruelland est aussi très convaincante lorsqu’elle interprète Cassandre, cette figure mythologique qui a prédit la chute de Troie, mais que personne ne croit. Ces deux aspects de la pièce – le parcours de Joanne Liu et le côté plus mythologique du propos – manquent toutefois de liant. Le passage d’un à l’autre est parfois abrupt, voire déstabilisant.

Les deux interprètes sont sans conteste les piliers de ce spectacle. Autour d’elles gravite une galerie de personnages plus ou moins définis (à l’exception d’Annie, amie d’enfance de la Dre Liu incarnée par Phara Thibault).

Après tout, ce spectacle n’est pas une fresque, mais une plongée dans la vie et les convictions profondes d’une des nôtres. C’est d’elle seule qu’il est question ici et c’est elle qui, lorsque le noir recouvre la scène, nous rappelle l’importance de nous tenir debout pour ce qui compte vraiment. Ce n’est pas rien.

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Nos Cassandre

Nos Cassandre

Texte d’Anne-Marie Olivier, mise en scène par Frédéric Dubois. Avec Jade Barshee, Claudiane Ruelland, Eliot Laprise, Dayne Simard, Phara Thibault et Ismaïl Zourhlal

À Espace Libre jusqu’au 3 février, puis à La Bordée à compter du 23 avril.

6,5/10