Réflexions, anecdotes, confidences : les riches entretiens de la série balado Juste entre toi et moi sont autant d’occasions d’entendre des personnalités médiatiques et culturelles ouvrir leur cœur et déployer leur pensée.

Comment fait-on pour se sentir vivant ? C’est la grande, belle et anxiogène question que se posent à répétition les personnages torturés et hilarants d’Insoutenables longues étreintes, la pièce du dramaturge russe Ivan Viripaev dans laquelle brille ces jours-ci Christine Beaulieu, au Théâtre Prospero. C’est aussi la question qui traversera l’ensemble de notre entretien.

« Tout le monde se demande ça dans sa vie, observe-t-elle. Quand est-ce que je vibre ? Quand est-ce que je me sens en train de toucher à l’existence de mes rêves ? »

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Ébauche de réponse : Christine Beaulieu se sent vivante lorsqu’elle se trouve en bonne compagnie. Christine Beaulieu se sent vivante lorsqu’elle échange avec des gens de différents milieux – « lorsque j’ai des conversations riches, stimulantes, créatives ». Christine Beaulieu se sent vivante au théâtre, un des creusets les plus féconds pour qui, justement, aime avoir des conversations riches, stimulantes, créatives.

Mais pour que la magie du théâtre opère, il faut qu’une actrice se donne. « C’est inévitable : si tu rentres sur scène et que tu n’es pas généreux, ce ne sera jamais intéressant. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Christine Beaulieu

La comédienne prend ses deux mains et fait mine de tirer de chaque côté de sa poitrine, comme si elle souhaitait séparer sa cage thoracique en deux.

Un acteur qui a le cœur fermé, quand bien même il aurait la plus belle voix du monde : boring. Pour être un bon acteur, il faut que t’ouvres toutes les portes.

Christine Beaulieu

Les liens qu’on ignore

S’ouvrir à la beauté de ce qui l’entoure, au point de vue des autres et à la vie en général : tel est, en quelques mots, ce à quoi Christine Beaulieu aspire sur le plan créatif et sur le plan humain. S’ouvrir, quitte à se tromper, quitte à faire face à des obstacles, quitte à prêter flanc aux blessures. Mais s’ouvrir, coûte que coûte, parce que c’est le seul chemin permettant, peut-être, de rendre le monde un peu meilleur.

Christine Beaulieu se sent vivante lorsqu’une pièce dans laquelle elle joue rameute des gens qui ne fréquentent pas assidûment les salles de spectacle, ce qui fut évidemment le cas pour J’aime Hydro, un des plus importants, et des plus improbables, succès du théâtre québécois des 10 dernières années.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Christine Beaulieu en conversation avec notre journaliste Dominic Tardif

« C’est le fun de faire un spectacle et de se rendre compte que dans la salle, ce n’est pas que des gens qui aiment le théâtre, mais qu’il y a du monde qui a travaillé chez Hydro-Québec, des politiciens, des écologistes », explique-t-elle. « Ça, ça me fait vibrer. »

« Tous les domaines sont un peu fermés sur eux-mêmes, regrette-t-elle. On est tous spécialisés, dans nos bulles, alors qu’on devrait tous créer davantage de liens. Les théâtres devraient être plus en conversation avec les universités. On a beaucoup à faire ensemble, on pourrait se nourrir davantage. Il y a beaucoup de liens entre nous, qu’on ignore. »

Au nom de la beauté

Dans Les saumons de la Mitis, le spectacle qu’elle a créé dans les Jardins de Métis, à Grand-Métis, et qui est depuis devenu un joli livre (illustré par Caroline Lavergne aux Éditions de la Bagnole), Christine Beaulieu écrit qu’il ne faut pas « oublier l’équilibre fragile de la beauté de la nature, parce que c’est en grande partie sa beauté qui nous rend heureux ». Une conviction qui anime aussi, dans un tout autre registre, sa nouvelle émission de rénovations durables, Déconstruire (offerte sur l’Extra d’ICI Tou.tv).

C’est au nom de la préservation de l’environnement, mais aussi de la beauté, celle des écosystèmes naturels, qu’elle s’oppose à ce que de nouveaux barrages hydroélectriques soient construits au Québec. En présentant devant les députés de l’Assemblée nationale son Plan d’action 2035, le PDG d’Hydro-Québec, Michael Sabia, plaidait en faveur de l’importance d’une transition énergétique, sans exclure cependant que de tels barrages soient érigés. Ce qui peut sembler antinomique.

Nos dirigeants sont-ils sensibles à l’idée qu’une rivière harnachée est une perte sur le plan collectif ? « C’est le cœur de ce qui fait qu’on prend certaines décisions : est-ce que nos décideurs ont à cœur, sincèrement, la protection de l’environnement et des écosystèmes ? Je ne sais pas à quel point, pour François Legault [et Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie], c’est important une rivière sauvage, un territoire sauvage, les espèces sauvages », répond la comédienne, qui garde néanmoins, de sa rencontre avec le premier ministre en 2019, le souvenir d’une conversation teintée de respect et d’écoute. « Eux, ils sont surtout dans le désir d’enrichir le Québec, c’est leur discours. »

Moi, je pense que dans 10, 15 ans, on va trouver ça complètement absurde de détruire un écosystème sauvage pour obtenir davantage de kilowattheures ou de richesse monétaire. Il va arriver, ce jour-là, où on va se dire : ‟Ah, mon Dieu, on était donc ben niaiseux de faire ça. »

Christine Beaulieu

Dans Les saumons de la Mitis, Christine Beaulieu invite ses lecteurs à se mettre dans la peau d’un saumon, une capacité de projection que l’être humain est le seul être vivant à posséder. Contempler le monde, du point de vue d’un poisson qui se heurte à un barrage : l’exercice peut sembler risible, bien qu’il soit salutaire.

« Si nous, on est capables de se mettre dans la peau d’un saumon, il y a une empathie qui peut naître de ça, et aussi une responsabilité de s’en occuper, pense l’autrice. Parce que nous, on peut avoir un impact sur le bien-être d’une autre espèce. »

Au nom de son amitié avec les peuples autochtones, et parce qu’elle ne supportait pas l’idée d’approuver, même tacitement, toutes les horreurs que le clergé leur a fait subir, Christine Beaulieu s’est fait apostasier. Vous aurez donc compris qu’elle ne croit pas en Dieu.

« Mais je crois en la vie, dit-elle. Déjà, le fait qu’il y ait de la vie, sur notre planète, dans le reste de l’univers qui est mort, c’est extraordinaire. On est extrêmement chanceux d’être vivants. C’est en ça que je crois. »

Insoutenables longues étreintes est présentée au Théâtre Prospero jusqu’au 21 décembre.

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Trois citations tirées de notre entretien

À propos du tournage du film Nouveau-Québec de Sarah Fortin

« Là-bas, à Schefferville, c’est nous, les Allochtones, qui sommes étrangers, il y a beaucoup plus d’Autochtones. Je vivais ce sentiment d’étrangeté pour la première fois et ça fait du bien. Je comprends peut-être mieux comment on se sent quand on n’est pas dans la majorité. […] C’est dur à expliquer, mais c’est comme si les Innus étaient plus branchés sur la terre, sur l’essence de la vie, alors que nous, on est loin de notre essence. Mon contact avec les Autochtones, c’est ça que ça me fait : ça me branche sur ma vérité. »

À propos de la possibilité d’une suite à J’aime Hydro

« Il y a en ce moment un énorme changement sur le plan de la gestion énergétique, ce n’est pas le matériel qui manque pour continuer. C’est très bouleversant pour moi, je suis comme dans une impasse. Plein de gens me disent : ‟C’est plus important que jamais que tu continues. » En effet, ils ont raison, mais en même temps, ça demande de l’énergie et j’ai toutes sortes d’autres projets créatifs qui m’animent. Ce sont des choix difficiles à faire. »

À propos de l’influence de Serge Bouchard

« Serge disait qu’il ne faut pas chercher le bonheur seulement dans ce qui nous rend joyeux. Les peines, les difficultés, c’est ce qui fait qu’on apprécie les moments joyeux. Une peine d’amour, c’est dur, mais câline que t’es vivant quand t’es en peine d’amour. Tu vibres de partout, ton cœur veut exploser. Alors si t’as besoin de pleurer, pleure ! T’es vivant quand tu pleures. Toutes les émotions, qu’elles soient positives ou négatives, sont des preuves de vie. Il faut les accepter et les embrasser. »