Après avoir sondé sous plusieurs coutures la question identitaire, Mani Soleymanlou se lance dans un nouveau cycle de création portant sur le souvenir et la mémoire. Pour ce faire, sa compagnie Orange noyée s’offre trois semaines de recherches et de création à La Chapelle. Le titre de ce projet à trois volets : Quartiers libres/Time-Off/Tiempo libre.

C’est entre les murs du petit théâtre de la rue Saint-Dominique à Montréal que Mani Soleymanlou a créé, il y a déjà 11 ans, son solo autobiographique Un. Au même endroit, il a présenté les premières de Deux et de Zéro. Pour son retour dans « sa maison théâtrale », le dramaturge a décidé de rompre avec la tradition des chiffres qui coiffaient ses spectacles précédents. Le titre de sa nouvelle création présentée en novembre devant public : Zamân ou on a le même temps qu’on avait.

« Zamân signifie “époque” en farsi, en hébreu, en arabe. Pour ce nouveau cycle, j’ai envie de m’éloigner de l’autofiction, même si la matière première du spectacle est très personnelle. Au début de la pandémie, ma mère est tombée malade. Elle a perdu la parole. Les médecins lui donnaient deux mois à vivre. J’ai alors commencé à écrire comme un deuil les deux épisodes du podcast Probablement Onze. J’ai revisité le temps où elle allait mieux, j’ai replongé dans les souvenirs de ma vie d’enfant… »

Écrire sur sa mère malade est plus complexe, plus difficile, plus rattaché à l’émotion vive que la question identitaire… C’est intangible. Ou trop tangible en même temps.

Mani Soleymanlou, dramaturge, metteur en scène et acteur

Sa mère a déjoué les pronostics. Elle vit aujourd’hui en CHSLD et a retrouvé la parole. « Mais elle a perdu la notion du temps. Elle ne reconnaît plus les jours ni les saisons. Elle tient quand même à garder sa montre au poignet… »

Place à Valaire

La perte de repères temporels de sa mère combinée à cette élasticité du temps qui semble se précipiter pour certains et s’étirer pour d’autres est au cœur de cette cocréation. Car Mani Soleymanlou ne travaille pas seul, cette fois.

« J’ai décidé de faire une version scénique de Probablement Onze avec les cinq musiciens de Valaire. J’ai eu envie de présenter un show de musique au théâtre, envie de sortir du cadre du théâtre pour faire exploser encore davantage le quatrième mur. »

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Les cinq musiciens du groupe Valaire participent au nouveau spectacle de Mani Soleymanlou.

Pourquoi Valaire ? « J’ai eu un coup de cœur pour le groupe. J’aime leur énergie sur scène. Je leur ai offert de collaborer à ce spectacle ; ils ont dit oui ! »

La bande de Valaire a eu accès à la balado. Mais pour ce qui est du spectacle comme tel, ils n’ont aucune idée de ce qui les attend. Mani Soleymanlou est tout autant dans le flou. « On se rencontre le 6 novembre, la première est le 9. On a trois jours pour tout mettre en place, pour voir ce qui va naître du chaos. »

C’est peut-être l’affaire la plus stressante que j’ai faite de ma vie, mais j’ai envie de ce stress ! J’ai envie de remettre en question la façon dont on fait du théâtre, même si c’est vertigineux pour tout le monde ! Je veux explorer un terrain de jeu plus artisanal, sonder mes intuitions. Ça fait longtemps que je n’ai pas ressenti un vertige de cet ordre-là !

Mani Soleymanlou

Le spectacle présenté devant public à La Chapelle les 9, 10 et 11 novembre en sera donc à ses balbutiements scéniques. « C’est une version unplugged, plus proche du croquis… Peut-être que la pièce restera comme ça, peut-être pas. Qui sait ? »

Chose certaine, il souhaite que les trois représentations de Zamân lui permettent d’échanger en direct avec le public. « C’est pour cette raison que j’ai voulu garder un côté cabaret, un côté club de jazz. Il est possible que j’interpelle le public, qu’on jase ensemble. »

De Un à Uno

Parallèlement au spectacle Zamân, Mani Soleymanlou a accepté qu’un autre que lui prenne sur ses épaules le solo Un. Mais pas n’importe qui : il a confié sa création à Victor Andrés Trelles Turgeon, un ami de très longue date avec qui il a étudié à Toronto à l’adolescence.

« Ce sera la première fois qu’un autre acteur va porter ce spectacle, ces mots. C’est très particulier ! À La Chapelle, nous présentons une lecture bonifiée du texte en version espagnole. » Un spectacle de danse inspiré de la cumbia intitulé Sabor de mi corazón viendra s’ajouter en deuxième partie de Uno, les 27 et 28 octobre.

Avec ce spectacle, celui qui dirige le Théâtre français du CNA espère tendre la main à la communauté hispanique de Montréal, qui ne fréquente pas forcément les théâtres.

Son désir est le même en s’associant à la bande de Valaire : aller chercher un autre public, plus jeune peut-être. Il raconte : « Après un show présenté devant peu de monde à Shawinigan, je me suis demandé comment aller chercher ceux qui ne se reconnaissent pas au théâtre. Et si on allait vers eux plutôt que d’attendre le contraire ? »

Le créateur a aussi souhaité offrir au public la chance de participer à des ateliers philosophiques. Les enfants de 9 à 12 ans et leurs adultes préférés pourront échanger, dans deux groupes distincts, sur la question de la mémoire et des souvenirs. Les Quartiers philosophiques sont présentés les matins du 4 et du 11 novembre.

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