Voilà plus de 40 ans que Denis Bernard est sorti du Conservatoire d’art dramatique de Québec. Depuis, sa carrière a fleuri, la vie lui a soufflé des vents portants et des vents contraires, mais son amour du théâtre ne s’est jamais tari.

De fait, l’acteur originaire de Lac-Etchemin considère le théâtre – l’art, mais aussi le lieu physique, avec sa scène et ses salles de répétition – comme sa deuxième maison. Et malgré ses 65 ans qui pourraient lui donner envie d’envisager une retraite méritée, il n’a pas du tout l’intention de s’arrêter.

C’est donc avec une joie sincère qu’il revient sur la scène du théâtre Duceppe, où sa carrière montréalaise a commencé en 1985, alors qu’il tenait le rôle d’Ében Cabot dans Désirs sous les ormes d’Eugene O’Neill. Il endosse cette fois les habits d’Howard Beale, personnage central de la pièce Salle de nouvelles, inspirée du film Network de Sidney Lumet.

« J’ai vu le film à sa sortie en 1976 et je me souviens d’avoir été flabbergasté », lance l’acteur.

Cette satire cinématographique raconte le destin d’Howard Beale, lecteur de nouvelles d’une chaîne de télé américaine en perte de vitesse. Ses cotes d’écoute étant à la baisse, ses patrons décident de le congédier. Ils lui laissent deux semaines de sursis ; Beale décide alors d’annoncer, en ondes, son suicide à venir le mardi suivant. Suicide qu’il compte exécuter en direct.

De lecteur ronflant, Howard Beale va devenir la nouvelle coqueluche des médias, au point de devenir un étonnant évangéliste nourrissant la colère du peuple avec ses tirades enflammées et lançant ses quatre vérités au public qui en redemande. La machine médiatique a créé un monstre qu’elle va finir, inévitablement, par broyer.

Lorsqu’il a été pressenti pour endosser ce rôle immense, Denis Bernard a dit oui sans hésiter. Parce qu’il aime les pièces qui le remuent, qui ont le pouvoir de provoquer une réflexion chez le public.

PHOTO STÉPHANE BOURGEOIS, FOURNIE PAR LE TRIDENT

La pièce Salle de nouvelles a été présentée à Québec, au Trident, en 2021. Les représentations prévues ensuite chez Duceppe ont été reportées, pandémie oblige…

C’est impressionnant et consternant à la fois de voir à quel point cette pièce est d’actualité. Il est question de taux de criminalité qui grimpe, d’inflation, de la menace russe. Certaines répliques tombent pile sur notre réalité. Rien n’a changé au fond.

Denis Bernard

Il poursuit : « Le discours d’Howard Beale me touche plus que jamais. Il y a un ras-le-bol que j’ai le goût d’exprimer moi aussi, parce qu’au final, le marché finit par l’emporter sur les idées. C’est pathétique. De là toute l’importance de monter cette pièce, pour nous permettre de réfléchir à tout ça, y compris à nos médias où sévissent des émetteurs d’opinions professionnels venus de la gauche comme de la droite. »

Un « Stradivarius » engageant et engagé

Au-delà du message percutant véhiculé par la pièce, celui qui a dirigé pendant 10 ans le théâtre La Licorne est heureux de pouvoir se frotter à ce personnage qui évoluera sous nos yeux. Plus encore, son Howard Beale doit à la fois jouer pour les caméras qui le filment (la pièce se déroule dans un studio de télé) et pour le public présent dans la salle. « C’est un tango exigeant, mais agréable. »

Marie-Josée Bastien, qui met en scène Salle de nouvelles, est ravie de voir « cet acteur digne d’un Stradivarius » porter sur ses épaules cette lourde partition. « C’est un acteur qui a beaucoup d’expérience, mais qui prend encore plaisir à la recherche et à la découverte. Parfois, l’expérience peut entraîner de l’ennui chez certains, mais avec Denis, ce n’est jamais le cas. On sent toujours son immense amour de la scène, comme on sent son bonheur en salle de répétition. C’est un grand acteur, un grand humain et un grand artiste. »

PHOTO VIVIEN GAUMAND, FOURNIE PAR TVA

Denis Bernard et Marie-Thérèse Fortin ont partagé l’écran dans la série Les moments parfaits.

Marie-Thérèse Fortin connaît Denis Bernard depuis le Conservatoire de Québec. « C’est un ami avec qui j’aime parler de théâtre, de littérature, de Tchekhov qu’il adore. Lorsqu’il parle d’un film qu’il a aimé, il en parle avec ses grands bras et remplit toute la pièce ! »

Les deux comédiens n’ont partagé l’écran pour la première fois que tout récemment, dans la série Les moments parfaits à TVA. Marie-Thérèse Fortin reconnaît chez son ami un indéniable engagement par rapport à son métier. « Denis a une vision très chevaleresque du rôle de l’acteur, sur la capacité de l’acteur à changer le regard du public sur certains enjeux liés à la vie et à la mort. Au Conservatoire, il était porté par un souffle lorsqu’il jouait au théâtre, et ça ne s’est jamais démenti. Il a une flamme en lui, une ferveur. »

La culture artistique et terrestre

Cet amour de la chose culturelle, Denis l’a cultivé dans sa jeunesse auprès de son oncle Loïc, prêtre et directeur de collège. Ce dernier faisait écouter à son neveu timide la 9e symphonie de Beethoven et l’amenait sillonner le Québec à la recherche de pièces d’art religieux à sauver de la destruction.

  • Denis Bernard, dans l’émission Marilyn, avec Robet Gravel et Louisette Dussault, en 1993

    PHOTO FOURNIE PAR RADIO-CANADA

    Denis Bernard, dans l’émission Marilyn, avec Robet Gravel et Louisette Dussault, en 1993

  • Au gala des Masques, en 2007, Denis Bernard fait ses remerciements avec son équipe de la pièce Coma Unplugged après avoir reçu le prix de la meilleure production montréalaise.

    PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

    Au gala des Masques, en 2007, Denis Bernard fait ses remerciements avec son équipe de la pièce Coma Unplugged après avoir reçu le prix de la meilleure production montréalaise.

  • Le comédien a aussi été directeur de La Licorne dans les années 2010.

    PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

    Le comédien a aussi été directeur de La Licorne dans les années 2010.

  • Denis Bernard est présent dans le paysage théâtral et télévisuel depuis des décennies. On le voit ici en compagnie de Lise Guilbault, Sylvie de Morais, Pascal Darilus et Guillaume Perreault, acteurs sur la série Yamaska.

    PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

    Denis Bernard est présent dans le paysage théâtral et télévisuel depuis des décennies. On le voit ici en compagnie de Lise Guilbault, Sylvie de Morais, Pascal Darilus et Guillaume Perreault, acteurs sur la série Yamaska.

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« Mon père a été bûcheron et cuisinier dans un hôpital. Il m’a inculqué les valeurs de la vie. Mon oncle a été une autre figure paternelle importante. C’était un homme de famille, qui avait un côté très rassembleur. »

À Lac-Etchemin, la maison où a grandi Denis Bernard était toujours pleine de monde, dont sa cousine, l’actrice Micheline Bernard. « J’ai eu la chance de vivre dans une maison bigénérationnelle, avec mes parents et mes grands-parents. »

Aujourd’hui, il recrée pour son plus grand plaisir ces repas partagés, rendant honneur à ce sens de l’hospitalité familial dans ce qu’il considère comme son grand projet de vie : sa maison à Notre-Dame-du-Portage, dans le Bas-Saint-Laurent.

Là-bas, sur ses terres, il cultive chaque été ses choux, ses patates, ses carottes « et des concombres citrons qui goûtent le ciel ! ». C’est là qu’il se tient en forme en travaillant au pic et à la pelle. Là qu’il passe ses étés avec son amoureuse des 30 dernières années à se ressourcer, à retrouver un juste équilibre. Et parfois, à panser les blessures que la vie lui impose, comme ce cancer qu’il a combattu et qui ne sera jamais chose du passé pour lui.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

L’acteur (et occasionnellement metteur en scène) Denis Bernard a hâte de retrouver le personnage d’Howard Beale, qu’il a endossé au Trident en 2021.

« Je n’utilise jamais le mot guérison. J’apprends à vivre avec cette réalité, mais je vais très bien. Je me tiens en forme. Le cancer a changé mon regard sur l’importance des choses, sur l’importance des rencontres que l’on fait avec les gens. »

Il sait aussi une chose : il a envie de continuer à faire ce métier tant qu’il en aura l’énergie. À condition de pouvoir à l’occasion rentrer dans ses terres du Bas-Saint-Laurent pour veiller sur ses jardins et regarder passer le fleuve.