Librement inspirée de La dernière bande de Samuel Beckett, la nouvelle pièce d’Olivier Choinière trace un portrait lucide et intime d’André Brassard à la fin de sa vie. Pour ne pas l’oublier.

Si André Brassard avait été un personnage de théâtre, il aurait fait partie du répertoire de Beckett. C’est d’ailleurs la prémisse et la première réplique de la pièce d’Olivier Choinière La dernière cassette, qui sera créée au Quat’Sous, dès le 5 septembre.

Avant de nous quitter en octobre dernier, à 76 ans, André Brassard a été longtemps immobile dans un fauteuil roulant « à ruminer ses souvenirs en attendant la mort ». Lors de ses nombreux entretiens avec lui (pour le projet d’abécédaire de l’exposition consacrée à Brassard par la BAnQ, en 2014), Choinière a reconnu le personnage de Krapp dans la solitude de son ancien professeur à l’École nationale. Dans sa nouvelle pièce, il se nomme AB, un homme qui a brûlé la chandelle par les deux bouts. Metteur en scène jadis reconnu et célébré, il est désormais vieux, isolé et handicapé. Prisonnier d’un corps qui ne lui obéit plus.

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Le metteur en scène André Brassard, en 2014, lors du lancement de l’exposition sur son parcours à BAnQ, devant l’affiche de la production d’Oh les beaux jours, avec Andrée Lachapelle

« Ç’a été la bougie d’allumage, dit Choinière. Faire de Brassard un personnage beckettien, à la fois pour rappeler son legs dans l’histoire du théâtre contemporain au Québec, mais aussi pour ne pas oublier son esprit, son intelligence et sa fine conscience du monde. »

La parole étant à la base du travail de Brassard, il fallait faire entendre sa voix dans le spectacle. Celle-ci sera interprétée par… Violette Chauveau ! La comédienne a été surprise par l’invitation de Choinière. Elle a eu peur d’embarquer au début, mais elle en a parlé au principal intéressé, juste avant sa mort. « Il m’a dit ‟ben oui, ce qui fait peur nous stimule”. Il a allumé ma flamme. »

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Violette Chauveau sera la voix d’André Brassard.

Des questions, pas de réponses

La curiosité, la recherche, l’envie de creuser, de partager, de communiquer. Toutes ces choses ont habité André Brassard jusqu’à la fin de sa vie. Malgré la fatigue et l’épuisement. À travers le portrait de Brassard vieillissant, La dernière cassette évoque autant le sort réservé aux aînés que le rôle de l’artiste dans la société.

« Pourquoi fait-on du théâtre ? », s’interrogeait Brassard.

On vit dans un monde qui a une grande soif de certitudes, car l’avenir est très angoissant. André [Brassard] s’intéressait aux questions ; pas aux réponses. Pour lui, une question ouvre une porte qui amène à une réponse et qui nous renvoie à une autre question.

Olivier Choinière, auteur et metteur en scène

« Quand il dirigeait des acteurs en salle de répétition, André exprimait ses doutes, ajoute Chauveau. Il nous demandait alors de chercher une réponse avec lui. Moi, je trouve ça rassurant, comme actrice, de me faire dire : ‟Je ne sais pas, mais on va trouver ensemble.” Ça veut dire que l’on construit quelque chose en évolution. »

Postérité et transmission

Lorsqu’Olivier Choinière a créé son premier texte à 23 ans, Le bain des raines, André Brassard a joué dans la production en marge au Bain Mathieu pour aider son ex-étudiant. Quand Violette Chauveau a croisé Brassard pour la première fois, au Théâtre Espace Libre à la fin des années 1980, elle l’a apostrophé. « Je lui ai lancé, fébrile : ‟Monsieur Brassard, je vous ai envoyé mon CV au Centre national des Arts ; vous ne m’avez pas répondu. Je veux juste passer une audition.” » La semaine suivante, la comédienne recevait des offres pour auditionner à Ottawa, Toronto et Winnipeg !

Voilà deux exemples parmi tant d’autres pour illustrer la générosité et la curiosité du metteur en scène des Belles-Sœurs.

Le spectacle d’Olivier Choinière parle de mémoire et de transmission aux plus jeunes générations. Malgré le thème, ce ne sera pas un spectacle sombre : « Le texte d’Olivier a énormément d’humour et de lumière. André avait ça en lui, l’autodérision, les blagues. Il était à la fois un clown et un tragédien. Comme un personnage de Beckett », conclut Chauveau.

La dernière cassette

La dernière cassette

D’Olivier Choinière, avec Violette Chauveau

Au Théâtre de Quat’Sous à Montréal , Du 5 au 30 septembre

Consultez le site du Quat’Sous