Adaptation d’un court texte de jeunesse de l’écrivain Robert Walser, L’étang, de Gisèle Vienne, est une proposition théâtrale subversive, dérangeante, voire insupportable… Mais parfaitement maîtrisée.

La scène s’ouvre sur une chambre d’adolescent en désordre, avec un petit lit et sept grandes marionnettes qui jonchent le sol. Un technicien de scène arrive. Il retire chaque poupée du plateau, l’une après l’autre, sous une musique techno qui vibre à plein volume ! Puis laisse toute la place aux deux comédiennes. Celles-ci avancent sur la scène d’un pas très lent, avec des gestes au ralenti, déconstruits, telle une étrange pantomime.

Adaptation d’un court texte de jeunesse de l’écrivain suisse Robert Walser, L’étang de la créatrice française Gisèle Vienne (Jerk, The Ventriloquists Convention) est une proposition théâtrale subversive, malaisante, par moments insupportable… Mais parfaitement maîtrisée.

Nous sommes quelque part entre le rêve et le cauchemar, dans le cerveau tourmenté de Fritz. Un adolescent en crise qui planifie, lors d’une fête chez lui, un faux suicide par noyade dans un étang. La pièce expose les dérives d’une famille dysfonctionnelle, une histoire marquée par la violence, l’inceste, le manque d’amour. « Tu ne choisis pas ta famille, mais comment tu t’en débarrasses », lancera Fritz au milieu du chaos.

PHOTO JEAN-LOUIS FERNANDEZ, FOURNIE PAR LE FESTIVAL TRANSAMÉRIQUES

Adèle Haenel joue tous les personnages des jeunes adolescents

Stupéfiante Adèle Haenel !

Adèle Haenel joue tous les personnages adolescents, en modifiant sa voix modulée au micro. Ses répliques se mêlent à l’environnement sonore omniprésent, créé par Adrien Michel, qui a fait un travail remarquable ! On entend la comédienne respirer, renifler, hurler… Elle se gifle, s’étouffe, se tord de douleur. Sa souffrance est palpable jusqu’au fond de la salle : « J’ai juste envie que ça s’arrête », lance le jeune Fritz, pour se libérer de son mal de vivre.

La talentueuse comédienne, entre autres primée pour le film Portrait de la jeune fille en feu, livre ici un stupéfiant numéro d’actrice !

Son jeu est très physique, au bord de la crise de nerfs, sur la corde raide. À ses côtés, Henrietta Wallberg est d’une présence forte, glaciale, énigmatique. Elle interprète le père et la mère avec une autorité assumée dans ses moindres mouvements. Sur le plateau, le contraste entre ces deux actrices, l’une à la blonde et abondante chevelure, l’autre qui affiche un look tomboy, avec sa casquette et ses baskets, est parfaitement assumé. Les deux interprètes sont en unisson dans ce ballet crépusculaire, magnifiquement éclairé par les lumières d’Yves Godin.

PHOTO JEAN-LOUIS FERNANDEZ, FOURNIE PAR LE FESTIVAL TRANSAMÉRIQUES

« Ne pas vouloir être dérangé [par une œuvre], c’est aussi ne pas vouloir réfléchir », dit Gisèle Vienne

On retrouve dans ce spectacle à la fois un geste politique – une critique du patriarcat, des rôles sociaux, entre autres – et un nouveau langage scénique. C’est une production sans compromis, unique, portée par une vraie liberté créatrice.

Après la représentation, lors d’une rencontre avec le public et les artistes, un spectateur a pris la parole pour dire qu’il a été « dérangé » par la pièce, au point de ne pas savoir s’il a aimé ou pas… Gisèle Vienne lui a répondu qu’elle fait justement du théâtre pour déstabiliser les gens ; pour essayer de transformer notre « perception du champ de l’art ». En le remerciant pour son commentaire, elle a ajouté : « Ne pas vouloir être dérangé [par une œuvre], c’est aussi ne pas vouloir réfléchir. »

Un spectateur averti en vaut deux.

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L’étang

L’étang

D’après un texte de Robert Walser. Mise en scène et conception : Gisèle Vienne. Avec Adèle Haenel et Henrietta Wallberg. Dans le cadre du FTA.

Jusqu’au 3 juin, à l’Usine C

7,5/10