Après quatre ans d’attente et deux reports, la production de Lysis a enfin vu le jour cette semaine. Pour sa dernière mise en scène en tant que directrice du Théâtre du Nouveau Monde (TNM), Lorraine Pintal s’offre une sortie en beauté, avec un spectacle grandiose et porteur d’espoir… Mais qui s’égare en cours de route.

Il y a un moment de grâce au milieu de la représentation de Lysis au TNM. Lorsqu’un chœur de femmes, dont la plupart n’étaient pas nées en 1975, interprète Une sorcière comme les autres, d’Anne Sylvestre.

Vous m’avez aimée putain
Et couverte de satin
Vous m’avez faite statue
Et toujours je me suis tue…

Voir, un demi-siècle après sa création, une distribution entonner cette chanson phare du mouvement féministe est à la fois solennel et troublant. Car ses mots nous rappellent que le combat pour l’égalité entre les sexes est sans cesse à mener. Et son message résonne très fort dans la pièce de Fanny Britt et Alexia Bürger.

L’ordre des choses

Alors, si les femmes prenaient les grands moyens pour changer l’ordre du monde ? Telle est la prémisse de Lysis. À l’ère des féminicides, du mouvement #metoo et du recul des droits fondamentaux dans le monde, les autrices se demandent si la sororité peut être un rempart contre le patriarcat et le « mansplaining » (la pièce nous offre quelques perles de propos paternalistes et risibles).

PHOTO YVES RENAUD, FOURNIE PAR LE TNM

Les comédiennes Olivia Palacci, Bénédicte Décary et Cynthia Wu-Maheux dans une scène de Lysis

Révoltées par les exactions commises par l’entreprise pharmaceutique Forest, des militantes décident de paralyser le pays. En demandant aux femmes de faire la grève de la natalité. À la tête de la cellule militante, Lysis, une chercheuse qui travaille pour cette multinationale dirigée par un « boys’club » cravaté. Leur manifeste est clair : « Tant que nos filles ne seront pas libres, dignes et délivrées », les femmes vont arrêter de mettre des enfants au monde !

La réponse du pouvoir masculin, mené par le puissant dirigeant de l’entreprise, Victor Forest, sera aussi rapide que sans équivoque. On demande au gouvernement de voter une loi spéciale de mesures d’urgence pour arrêter les militantes. Et faire cesser le désordre public.

À grand déploiement

Le TNM a produit un spectacle à grand déploiement, avec une distribution de 17 interprètes, dont trois musiciennes sur scène qui exécutent la belle musique de Philippe Brault. On est devant du théâtre à la fois épique et contemporain, avec des chœurs, une scénographie et des éclairages élaborés.

PHOTO YVES RENAUD, FOURNIE PAR LE TNM

Lysis est à l’affiche du TNM jusqu’au 1er juin.

Fanny Britt et Alexia Bürger se sont librement inspirées de deux classiques : Lysistrata, d’Aristophane, pour l’argument de la grève du sexe par les femmes ; Électre, de Sophocle, pour la colère des militantes assoiffées de justice. Malheureusement, le texte embrasse beaucoup trop de thèmes et s’éparpille en cours de route. La première partie se concentre sur l’intrigue révolutionnaire et militante de Lysis et de son groupe. Dans la seconde partie, l’héroïne perd tous ses moyens et est rongée par le doute. La pièce bifurque alors vers des intrigues secondaires, amoureuses et familiales, hélas plus faibles.

On comprend que les autrices aient voulu terminer leur pièce sur un message d’amour et de transmission aux générations futures. Mais pas au détriment de leur prémisse engagée et révolutionnaire. Comme si, par optimisme, elles ont voulu faire une omelette sans casser des œufs !

La mise en scène de Lorraine Pintal est fort réussie, bien huilée. La directrice a orchestré avec doigté le ballet incessant de son imposante distribution.

Dans le rôle de Lysis, Bénédicte Décary est excellente, incandescente. Elle brûle d’un feu ardent dans plusieurs scènes. Dans le rôle de Victor Forest, Jacques L’Heureux incarne avec justesse cet homme sans morale, prêt à tout pour s’enrichir au détriment des autres. Il est appuyé par un premier ministre méprisant et suffisant, William Arès, joué avec brio par Jean-Philippe Perras. Après sa convaincante interprétation de Christian dans la série L’empereur, ce comédien semble fait pour jouer ce type de personnage qu’on aime détester.

Malgré nos réserves, ce spectacle qui rassemble des artistes de tous les horizons et de plusieurs générations est porteur d’un vent d’espoir. À la fois pour le TNM et la création au Québec.

Consultez la page de l’évènement Lisez « Lysis, la pièce maudite arrive sur scène »
Lysis

Lysis

(1 h 50, sans entracte)
De Fanny Britt et Alexia Bürger.
Mise en scène par Lorraine Pintal.
Avec Bénédicte Décary, Jean-Philippe Perras,
Olivia Palacci et 14 autres interprètes.

Au TNM, jusqu’au 1er juin

7/10