L’un était un peintre indomptable et fougueux. L’autre est un metteur en scène d’une redoutable créativité. La vie de Jean Paul Riopelle portée sur la scène de Duceppe par Robert Lepage fait rêver depuis l’annonce du projet. Mais malgré quelques moments de grâce, la rencontre entre les deux géants n’aura pas provoqué le choc escompté.

Avec sa pièce Le projet Riopelle, point d’orgue des célébrations entourant le 100anniversaire de naissance du peintre, Robert Lepage s’était donné pour délicate mission de lever le voile sur un artiste nimbé d’une aura de mystère. L’homme parlait peu de lui et ne s’exprimait pas davantage sur les motivations derrière son art.

Ce qu’on sait toutefois, c’est que Riopelle a été au cœur du mouvement des Automatistes, qui a culminé avec la publication du manifeste Refus global. Sa tumultueuse relation, longue de 25 années, avec la peintre américaine Joan Mitchell a aussi été largement documentée. Ses amitiés, ses rencontres dans le Paris des années 1950 avec André Breton, Giacometti, Beckett aussi. C’est sur ce matériel très concret que Lepage a décidé de s’appuyer pour créer sa fresque colossale.

Ce faisant, le metteur en scène (qui signe aussi la scénographie et le texte, en collaboration avec Olivier Kemeid) reste très sage dans ses métaphores scéniques.

Ici, tout est brutalement chronologique, géographiquement identifiable et identifié. En résulte une biographie studieuse et sans doute juste, jusque dans ses moindres virgules, mais plutôt scolaire. Sans quelques touches de poésie, la vie – même celle des plus grands d’entre nous – reste une suite de faits. Le résultat peut s’avérer foisonnant, certes, mais l’émotion peine davantage à se frayer un chemin jusqu’au cœur du spectateur.

La pièce, on se souviendra, est une commande de la Fondation Jean Paul Riopelle. Et la succession du peintre a eu un œil attentif sur le produit final, au point d’assister, chose rare, à certaines répétitions. Cela explique peut-être une certaine frilosité de Robert Lepage à décoller des faits pour entrer dans le monde intérieur moins tangible de Riopelle. De fait, on s’attache davantage au personnage de Joan Mitchell qui, contrairement à celui du peintre québécois, est présenté dans toute son humanité.

Heureusement, les frissons nous gagnent par moments dans ce spectacle qui s’étend sur près de quatre heures.

La lecture de Refus global par le personnage de Paul-Émile Borduas a soulevé des applaudissements spontanés le soir de la première. Idem pour la magnifique scène où Riopelle survole les glaces du Grand Nord, qui se transforment, par une magie dont seul Lepage est capable, en toiles géantes, celles du Quatuor en blanc – Soleil de minuit, peintes par Riopelle en 1977.

PHOTO DANNY TAILLON, FOURNIE PAR DUCEPPE

Anne-Marie Cadieux incarne une Joan Mitchell constamment sur le point d’imploser.

Dans le rôle de Riopelle à l’âge mûr, Luc Picard est très convaincant, malgré quelques flottements dans l’accent québécois et les r roulés de son personnage. Anne-Marie Cadieux incarne une Joan Mitchell toujours sur le point d’imploser, avec tout le talent qu’on lui connaît. Les performances de Noémie O’Farrell, Gabriel Lemire, Violette Chauveau et Étienne Lou (bouleversant dans le rôle de Claude Gauvreau) sont aussi à souligner.

D’ailleurs, la dizaine d’interprètes incarnent dans Le projet Riopelle plus d’une centaine de rôles ! Il faut du souffle et les interprètes n’en manquent jamais. Chapeau !

PHOTO DANNY TAILLON, FOURNIE PAR DUCEPPE

Les projections en fond de scène sont souvent époustouflantes.

La scénographie, pierre d’assise du travail de Lepage, est d’une grande beauté et d’une indéniable ingéniosité. À ce chapitre, les projections sont époustouflantes, transformant la toile blanche en fond de scène en mille mirages.

Mais, comme c’est souvent le cas avec les pièces du metteur en scène québécois, tout n’était pas encore rodé le soir de la première. La pléthore de techniciens de scène qui se chargent de nous faire voyager de Montréal à Paris et de L’Île-aux-Oies à l’atelier de Vanves en avait plein les bras. Il arrivait d’ailleurs que la mise en place d’un décor prenne plus de temps que l’entièreté de la scène qui s’y déroulait.

Ces changements de décor laborieux seront plus fluides au fil des représentations, aucune crainte à ce sujet. Mais il reste que certaines décisions, comme celle de déplacer de lourdes pièces de bois tout au long du troisième tableau, brisent le rythme.

Robert Lepage a besoin des réactions du public pour peaufiner ses productions. Il sait profiter de cet échange entre la salle et la scène pour redresser ce qui doit l’être. Nul doute que la pièce s’améliorera à mesure qu’elle gagnera en maturité. Mais le soir de la première, il manquait quelques pierres à l’édifice pour que nos attentes – immenses, on l’admet – soient comblées.

Le projet Riopelle

Le projet Riopelle

Texte et mise en scène de Robert Lepage, avec Luc Picard, Anne-Marie Cadieux, Gabriel Lemire, notamment.

Théâtre Duceppe, Jusqu’au 11 juin.

7/10

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