« Être une femme libérée, tu sais, c’est pas si facile », chantait Cookie Dingler, dans un tube du groupe français un peu ringard, au milieu des années 1980. Et aujourd’hui, une femme peut-elle être totalement libre ?

Telle est la question posée par la pièce de Catherine Léger Deux femmes en or, une relecture de la comédie érotique réalisée en 1970. Et qui demeure à ce jour l’un des plus grands succès de l’histoire du cinéma québécois.

Un demi-siècle plus tard, Léger en a fait une adaptation « libre et contemporaine » qu’on peut voir, dans une mise en scène sobre et efficace de Philippe Lambert, ces jours-ci à La Licorne. L’autrice de Baby-sitter et de Filles en liberté signe ici un texte court et brillant.

Un conte moderne, savoureusement amoral, dans lequel elle ridiculise la pudibonderie et le deux poids, deux mesures de notre époque. Pour mieux célébrer l’éternel désir au féminin.

Si la pièce reprend le canevas du scénario de Claude Fournier et de Marie-José Raymond, le récit est beaucoup moins explicite que le long métrage. Mais aussi rigolo. L’action se passe à l’ère du #metoo, de Tindr et autres Facebook. Les femmes ne sont plus au foyer, mais en congé de maternité et en arrêt de travail… pour cause de dépression. Ça aussi, c’est une réalité des femmes libérées en 2023. Ce n’est pas parce qu’on rit durant la représentation que le constat est drôle.

Bye-bye, Brossard !

Les deux voisines n’habitent plus à Brossard, mais dans une communauté de banlieue « écoresponsable ». Elles lisent l’essai de Catherine Dorion, Les luttes fécondes. Et sont fascinées par « la panoplie infinie des ravissements » que l’ex-politicienne dit vivre en amour.

PHOTO SUZANE O’NEILL, FOURNIE PAR LE THÉÂTRE DE LA MANUFACTURE

Isabelle Brouillette, Sophie Desmarais et Steve Laplante. La mise en scène, sans temps morts, offre un merveilleux terrain de jeu aux interprètes.

Or, pour vivre en harmonie avec nos désirs amoureux, il faut d’abord se libérer de nos prisons intérieures, de nos cages dorées. Dans cette nouvelle mouture de Deux femmes en or, les hommes sont une drôle d’espèce ; faits en carton et non en or. Les maris machos de jadis sont devenus des conjoints à géométrie variable, bourrés de contradictions. Dès lors, on comprend l’envie des épouses abandonnées de sauter la clôture…

Bien sûr, les deux femmes finiront par passer à l’acte. Elles vont baiser tout ce qui bouge et qui se déplace à domicile : l’exterminateur, le nettoyeur, le livreur de pizza, le gars du câble, celui du téléphone… Et puisque les temps ont changé, que notre époque est plus hétéroflexible qu’en 1970, l’une des voisines aura un flirt avec une femme venue lui livrer un colis.

Terrain de jeu

La mise en scène, sans temps mort, offre un merveilleux terrain de jeu aux cinq interprètes. Dans le rôle des deux femmes en or et en chair, Sophie Desmarais et Isabelle Brouillette sont parfaites. Drôles sans jamais être caricaturales, elles s’épanouissent d’une scène à l’autre en tuant leur ennui au lit. Mathieu Quesnel et Steve Laplante, deux fabuleux acteurs dotés d’un sens inné du comique, jouent à la fois les maris et les multiples amants de leurs femmes. Dans le rôle de la maîtresse, Charlotte Aubin est perverse et séductrice.

PHOTO SUZANE O’NEILL, FOURNIE PAR LE THÉÂTRE DE LA MANUFACTURE

Dans le rôle des deux femmes en or et en chair, Sophie Desmarais et Isabelle Brouillette sont parfaites. On les voit ici avec Mathieu Quesnel.

Deux femmes en or aborde des enjeux contemporains, sans prêchi-prêcha ni lourdeur. On reste dans le registre de la comédie. Avec un fond noir, car on sort du théâtre avec la curieuse impression qu’en matière de sexualité, la quête d’affranchissement des femmes reste un long et pénible chemin.

En 2023 comme en 1970, ce monde est assez fort pour elle, mais toujours conçu pour lui.

Deux femmes en or

Deux femmes en or

Avec Sophie Desmarais, Isabelle Brouillette, Steve Laplante, Mathieu Quesnel et Charlotte Aubin. Mise en scène de Philippe Lambert. Texte de Catherine Léger adapté du scénario de Claude Fournier et de Marie-José Raymond.

À La Licorne jusqu’au 20 mai, De nouvelles supplémentaires seront bientôt en vente pour décembre 2023.

7,5/10

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