Un théâtre de poésie, de sensations et d’imagination. Voilà ce que nous proposent le dramaturge Gabriel Plante et le metteur en scène Félix-Antoine Boutin avec Sur l’apparition des os dans le corps, l’une des pièces les plus délicieusement originales de la saison 2022-2023.

Le titre de la pièce fait penser à un article de revue scientifique. Sur l’apparition des os dans le corps lance, en effet, quelques pistes théoriques au sujet des origines de l’humanité. À d’autres moments, la proposition scénique prend des allures de spectacle de stand-up, puis raconte une sorte de road trip philosophique entre le quartier Centre-Sud et le désert des Mojaves.

Dans un tel contexte dramaturgique, le récit passe cependant au second rang. On résumera en disant qu’il s’agit de l’exploration d’un gouffre, lire Grand Canyon, qui se creuse au sein d’un couple. La jeune femme (Lenore) fuit jusqu’au désert avec un sans-abri de la place Émilie-Gamelin, surnommé Pas grand-chose. Celui-ci sera témoin de la rupture amoureuse et de la quête existentielle de Lenore, qui désire briser tous les os de son corps.

PHOTO FOURNIE PAR LE THÉÂTRE PROSPERO

Gabriel-Antoine Roy et Amélie Dallaire

Nulle trace d’horreur ici puisque la jeune femme ne ressent absolument rien, comme quoi la douleur est plutôt celle de l’âme. Pas seulement du personnage, mais de tout ce qui est vivant et qui a été traversé par les cassures et les fractures depuis son apparition sur la Terre.

En filigrane, le personnage principal analyse ainsi les thèmes du temps passé, présent et futur, de la différence entre l’égoïsme et l’altruisme ou entre forme et objet, de l’identité sexuelle et de l’évolution de l’amibe jusqu’à l’humain, entre autres.

Interprétation

Dans cette épopée millénaire, la prodigieuse Amélie Dallaire interprète à la fois l’amoureuse et la voix de l’amoureux. Sa performance rappelle la superbe qu’elle affichait l’automne dernier à Fred-Barry dans un rôle similaire, celui d’Une fille en or de Sébastien David. Il y aurait d’ailleurs beaucoup de parallèles à tracer entre ces deux œuvres qui présentent des univers se suffisant à eux-mêmes, loin de toute tentation réaliste.

Le metteur en scène Félix-Antoine Boutin nage comme un embryon dans un liquide amniotique avec ce texte néo-absurde.

Sa direction d’acteur est d’une précision sans faille tout en restant au service d’un certain mystère suggéré par la narration. Il fait appel au mime et à la danse, à la belle scénographie d’Odile Gamache et à la bande sonore originale de Christophe Lamarche-Ledoux.

Sur l’apparition des os dans le corps se passe de message. La poésie du texte renvoie autant au corps qu’à l’esprit, suggérant que l’humain est autant le résultat du hasard que d’un possible déterminisme, de chocs que de fusion, de poussières que de pensées. Selon les aléas de la chimie et de la biologie, nous aurions donc pu apparaître sur la planète comme arbre, pierre ou… boule !

Comme le chantait si bien Daniel Lavoie, il y a 40 ans, avec son magnifique album Nirvana bleu : « tout ça, ça se passe, quelque part dans l’espace, sur une boule qui roule dans l’infini ».

Sur l’apparition des os dans le corps

Sur l’apparition des os dans le corps

Texte de Gabriel Plante, mise en scène de Félix-Antoine Boutin. Avec Amélie Dallaire et Gabriel-Antoine Roy.

Au Théâtre Prospero, Jusqu’au 11 février

8/10

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