L’idée était belle et tellement prometteuse : raconter la vie de Molière par la voix de Mikhaïl Boulgakov, un grand auteur russe du XXe siècle qui vouait à l’immortel du théâtre français une admiration sans bornes. Seulement, le décalage est grand entre le projet annoncé et ce qui nous est offert sur la scène du TNM.

Malgré plusieurs qualités (notamment sur le plan du jeu des acteurs et de la scénographie), le spectacle mis en scène par Lorraine Pintal suit une trame narrative convenue et sans grande audace, qui colle de façon plutôt linéaire à la vie (archiconnue) de Molière. De fait, l’adaptation par Louis-Dominique Lavigne du roman que Boulgakov a consacré à Molière en 1933 révèle bien peu de choses sur l’écrivain d’origine ukrainienne.

Il faut savoir que, malgré les 300 ans qui les séparent, Jean-Baptiste Poquelin dit Molière et Mikhaïl Boulgakov ont beaucoup en commun, notamment une inextinguible soif d’écrire et de dénoncer les travers de leur société.

Ainsi, les deux hommes ont dû lutter toute leur vie contre la censure. D’un côté, Boulgakov a vu la majorité de ses œuvres rejetées ou grossièrement remaniées par le régime stalinien. Sa biographie romancée sur Molière n’y a pas échappé, les censeurs lui trouvant des parallèles trop transparents avec le pouvoir en place. De l’autre, Molière a choqué le clergé avec son Tartuffe au point où sa pièce a été interdite et où certains curés ont réclamé au roi que l’insolent dramaturge soit brûlé au bûcher.

Quelques frasques

Or, la vision de Boulgakov, les aléas de son existence et son étonnante admiration pour un Français du XVIIe siècle ne sont évoqués que lors de trop rares (et trop courtes) scènes. Dans le rôle de l’homme de lettres originaire de Kyiv, Jean-François Casabonne se retrouve à hanter la scène comme un fantôme alors que c’est à lui que Louis-Dominique Lavigne aurait dû offrir les plus belles répliques, quitte à ajouter s’il le fallait des scènes de son cru.

Avec le talent qu’on lui connaît, Jean-François Casabonne aurait pu charrier sur ses épaules un spectacle beaucoup plus étoffé, où chacun serait sorti avec l’impression d’avoir découvert un auteur ukrainien encore trop peu célébré ici.

Au chapitre des bonnes nouvelles, il ne faudrait pas passer sous silence la performance d’Éric Robidoux, qui incarne avec beaucoup d’énergie et de nuances un Molière mélancolique et sombre, contraint de faire de la comédie alors qu’il rêvait de drames épiques. La scène de la mort du dramaturge se révèle d’ailleurs particulièrement touchante, tout comme celle de son seul véritable amour, la comédienne Madeleine Béjart (lumineuse Rachel Graton).

PHOTO YVES RENAUD FOURNIE PAR LE TNM

L’imposante distribution du Roman de monsieur de Molière offre de solides performances.

De fait, les 12 interprètes de la distribution sont très solides, même si on assiste parfois à des ruptures de ton étonnantes d’une scène à l’autre. Et bien qu’un certain manque d’unité dans les costumes puisse faire sourciller (à ce chapitre, la perruque de Jean Marchand en Corneille tient du pur délire !).

Un mot aussi sur l’enveloppante musique de Jorane, qui sert d’écrin sonore à tout ce beau monde. La violoncelliste, présente sur scène, ajoute sans conteste une touche de beauté à l’ensemble.

Bref, plusieurs ingrédients avaient été rassemblés par la metteure en scène Lorraine Pintal pour faire de ce spectacle un moment de théâtre marquant. Il est simplement dommage que le projet semble avoir dévié de sa trajectoire en cours de route. Comme si le projecteur s’était déplacé pendant la création pour n’offrir sa lumière qu’au seul Molière.

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