Présentée à Espace libre, la pièce L’enclos de Wabush nous plonge dans un multivers fantastique singulier où le personnage principal, Pierre Wabush, est en proie à ses démons. Cette remarquable coproduction met en valeur la qualité et la pertinence des artistes autochtones contemporains.

L’enclos de Wabush de Louis-Karl Picard-Sioui est un conte moderne qui se déroule dans la communauté fictive de Kitchike. Pierre Wabush est le fils manqué d’un père manquant et d’une mère alcoolique. Il ne croit ni aux traditions autochtones ni en lui-même et se débat avec des souvenirs douloureux l’empêchant de voir clair dans ses relations.

Englué dans la légende d’un paternel, chef de police, disparu sans laisser de trace, le beau Pierre préfère boire et courir la galipette que de faire face à la dure réalité de la vie dans une réserve. Frustré, il dénonce autant les malversations du conseil de bande que les futiles guerres de clan entre les diverses familles de la communauté. Un mâle lucide, mais aussi passif-agressif.

Le récit se déroule, en fait, dans sa propre tête. Sous l’emprise d’un alcool frelaté et d’un trickster — personnage immortel mythique des cultures autochtones qui s’amuse aux dépens des vivants –, Wabush peine à comprendre l’évidence, c’est-à-dire qu’il est devenu le paria de sa communauté. De flashback en flashback, on finira par entrevoir sa vraie nature et celle des membres de son entourage, sa mère, ses amis et ses maîtresses.

Les fils narratifs très emberlificotés, au début du spectacle, se démêlent peu à peu vers la fin. Il faut un certain temps avant de se laisser prendre à ce jeu de poupées russes surréaliste qui oscille entre l’étrangeté des situations et les souvenirs bien réels du protagoniste. Pierre Wabush et spectateurs, même combat !

Misant sur la vidéo, un dispositif scénique élaboré et une bande sonore gonflée de mystère, la mise en scène de Daniel Brière et de Dave Jenniss maintient le suspense du début à la fin. Les dialogues écrits par Louis-Karl Picard-Sioui distillent un humour caustique où des éléments de l’Histoire interviennent, comme la crise d’Oka et l’enfance difficile de tant d’enfants autochtones en contact avec le racisme systémique.

L’enclos du titre peut ainsi se référer autant au cerveau embrouillé du personnage principal qu’à un contexte sociopolitique figé dans lequel sont maintenues les Premières Nations.

Le ton ludique et le dynamisme de l’ensemble sont bien portés par une distribution majoritairement autochtone. Charles Bender offre un Pierre Wabush aussi brillant que décontenancé par ce qui lui arrive. Son vieil ami Noé, le trickster, est joué par un savoureux Dave Jenniss, et la mère par la toujours juste Marie-Josée Bastien.

Joanie Guérin est hilarante dans le rôle d’une narratrice, vêtue à la mode Nouvelle-France, et dans son imitation de Jean-Luc Mongrain, tandis que René Rousseau et Émily Séguin interprètent les autres personnages avec talent.

Cette coproduction du Nouveau Théâtre Expérimental et de la compagnie Ondinnok, créée il y a 37 ans, nous ouvre à nouveau les yeux et le cœur sur les qualités indéniables du théâtre autochtone ainsi que sur sa pertinence au moment où les stéréotypes continuent malheureusement de circuler à leur égard dans notre société.

L’enclos de Wabush

L’enclos de Wabush

De Louis-Karl Picard-Sioui, mise en scène par Daniel Brière et Dave Jenniss. Avec Marie-Josée Bastien, Charles Bender, Joanie Guérin, Dave Jenniss, René Rousseau et Émily Séguin.

À Espace libre., Jusqu’au 29 octobre.

8/10