Après sa présentation au Festival international de la littérature l’an dernier, revoici Rêve et folie au Théâtre de Quat’sous. Ce texte du poète austro-hongrois Georg Trakl est mis en scène par Brigitte Haentjens. Seul sur le plateau, le comédien Sébastien Ricard frémit, tremble, explose. Phénoménal !

Le poète expressionniste Georg Trakl est mort en 1914 à l’âge de 27 ans d’une surdose de cocaïne pendant qu’il œuvrait comme pharmacien-soldat lors de la Première Guerre mondiale. Son œuvre des plus troublantes éclaire toutefois de façon pertinente ce qui affecte les humains qui souffrent de nos jours, en Ukraine ou ailleurs.

L’humanité, qu’il nomme à plusieurs reprises la « race maudite », désespérait l’écrivain. C’est toutefois de conflits et de tourments intérieurs que parle ce texte au langage vieillot, mais aussi douloureux qu’une lame de couteau plantée au milieu d’une plaie.

Et même si la troisième personne du singulier est utilisée, tout renvoie au triste destin de Trakl : père autoritaire, mère diaphane et sœur incestueuse, appelée « démon ». Il faut dire aussi que Baudelaire, Verlaine, Rimbaud et Nietzsche comptaient au nombre de ses influences.

La pièce évoque un monde parallèle où le protagoniste évolue au crépuscule dans une forêt pleine d’animaux tantôt inoffensifs, tantôt effrayants. Mais les humains sont bien pires dans ce royaume du mal meublé de châteaux et de ruines. Les images fortes du poète en font des fantômes et des spectres.

Cela donne un théâtre de la cruauté, façon Antonin Artaud, où c’est le corps de l’interprète Sébastien Ricard qui agit en synchronicité avec les mots.

Au début, le comédien se couche au sol, en proie à des spasmes violents. Il arpentera ensuite la scène avec des poses étranges, vacillant, tombant brusquement, tout en racontant des visions cauchemardesques, probablement sous l’influence de quelque drogue comme l’était le poète maudit.

PHOTO FOURNIE PAR SIBYLLINES

Sébastien Ricard

Transe

Cette performance exceptionnelle se rapproche de la transe tellement le comédien semble possédé, évoquant autant le rêve que la folie. Il vibre sous la direction experte de Brigitte Haentjens, complice de la première heure, qui l’a dirigé, entre autres, dans Richard III au TNM et dans les pièces tout aussi difficiles de Bernard-Marie Koltès.

L’écrin qui contient les divagations du personnage s’avère tout aussi sombre. Derrière, un rideau de fines lamelles en tissu accueille des projections produites par Karl Lemieux : forêts, rochers, eaux, en différents tons de gris, noir et blanc. La trame sonore de Roger Craig-Tellier s’articule autour de notes graves et caverneuses.

Ce spectacle singulier ne dure que 35 minutes, quoiqu’il puisse paraître plus long tant la matière et la texture sont denses. Et quand Sébastien Ricard revient saluer à la fin, on se dit que, peu importe la durée, sa performance mériterait sans doute un prix.

Rêve et folie

Rêve et folie

De George Trakl, mise en scène de Brigitte Haentjens Avec Sébastien Ricard

Au Théâtre de Quat’sous, Jusqu’au 7 octobre

8,5/10