Après la catharsis du rire insufflé dans La nuit des rois, de Shakespeare, qu’elle a adaptée avec Frédéric Bélanger, Rébecca Déraspe nous plonge dans Les glaces. Une histoire plus âpre qu’elle a écrite au début de la vague du mouvement #metoo.

Dès le début du mouvement #metoo, il y a cinq ans, Rébecca Déraspe a eu l’impulsion d’écrire une pièce qui aborderait le sujet du consentement de manière frontale, mais par l’entremise de la fiction. « J’ai du mal à débattre dans la vie, nous dit-elle, mais j’ai ressenti le besoin d’écrire sur des personnages qui empruntent des chemins d’humanité qui me touchent, pour essayer de comprendre certains aspects de ces questions qui sont complexes. »

La dramaturge a donc fouillé, à sa façon, pour comprendre ces choses « qui ont rapport au consentement, aux relations hommes-femmes et à notre rapport collectif au désir », afin de raconter une histoire, dramatique on s’entend, mais avec la petite touche d’humour propre à Rébecca Déraspe.

La pièce mise en scène par Maryse Lapierre est construite autour du personnage de Vincent, féministe vocal, en couple avec Marianne, avec qui il vient d’avoir un bébé. Mais leur bonheur sera de courte durée, car Vincent sera accusé de viol par une amie de jeunesse, Noémie, pour des gestes commis 25 ans plus tôt.

Chassé de chez lui, Vincent se réfugiera chez son père, dans le Bas-du-Fleuve, où il a grandi… et où il retrouvera son ami d’enfance Sébastien, complice des évènements dont il est accusé. Les deux jeunes hommes, conviés par Noémie (Valérie Laroche), devront alors affronter la situation (ou non).

Rébecca Déraspe, qui vient de Rivière-du-Loup, tenait à ajouter cette variable des régions dans l’équation. « Je voulais savoir comment les gens qui ne sont pas montréalais se positionnent par rapport à ces questions-là du #metoo. Comment cette confrontation-là se vit en région », dit-elle.

Mais ne vous attendez pas à ce qu’elle ostracise des personnages ou à ce qu’elle procède à des séances de lynchage publiques. Non, l’auteure qui fait ici dans la nuance, a beaucoup trop d’empathie pour eux.

Pour moi, les monstres n’existent pas. J’avais envie qu’on soit capable comme spectateur d’avoir de l’empathie pour les êtres humains derrière les gestes et qu’on comprenne le courage que ça peut demander de faire face aux conséquences des gestes qu’on a faits. C’est d’ailleurs la clé d’empathie dans la pièce.

Rébecca Déraspe, dramaturge

Pourquoi est-ce si important pour Noémie de revoir ses agresseurs 25 ans plus tard ? A-t-elle vraiment besoin de leurs excuses pour avancer ? « Oui, croit Rébecca Déraspe. Si l’autre reconnaît ses torts, on peut repartir, reconstruire, pardonner. Si Noémie les confronte 25 ans plus tard, c’est qu’il y a eu un élément déclencheur dans sa vie, avec son fils, qui a commis des gestes semblables. Quel est l’impact sur leur vie si tout le monde ferme sa gueule ? »

Si les deux personnages principaux mis en cause par Rébecca Déraspe sont des hommes — Vincent et Sébastien, qui seront interprétés par Christian Michaud et Olivier Normand —, Les glaces est bel et bien une pièce sur la sororité entre femmes.

« Toutes les filles de la pièce vont faire un geste de solidarité pour accompagner le personnage de Noémie ou de Jeanne [agressée par le fils de Noémie], nous dit l’auteure. C’est un angle que j’ai pris après avoir lu des documents d’archives sur Marie Gérin-Lajoie lors de l’inauguration de la Fédération Saint-Jean-Baptiste, en 1907, où elle parlait de solidarité féminine, de sororité et d’éducation sexuelle. »

Et ces « glaces » du titre font référence à quoi au juste ? « Ce sont les états émotifs intérieurs des personnages », répond Rébecca Déraspe. C’est tout ce qui était gelé et qui dégèle, poursuit-elle, en se référant au viol du personnage de Noémie. « J’ai lu qu’après des traumas, le corps garde en mémoire les sensations, ça fait référence à ça. »

Durant la représentation, les comédiennes diront des bouts de textes qui évoqueront ces scènes violentes sur une musique composée par Chloé Lacasse. « Pour moi, c’est cet évènement traumatique qui est en train de dégeler, comme les glaces du Saint-Laurent », conclut Rébecca Déraspe.

Présence rare

La comédienne Marine Johnson, 24 ans, incarnera Jeanne dans Les glaces — personnage qui sera interprété par Éléonore Loiselle à Québec. Une très rare présence sur les planches pour celle qui a plutôt eu des rôles à la télé (STAT, Six degrés, Les petits rois) et au cinéma (Les oiseaux ivres, La déesse des mouches à feu, Charlotte a du fun) depuis qu’elle a quitté le cégep en 2017 (elle a joué dans 21, de Rachel Graton, Les glaces est sa deuxième production théâtrale). Une de ses scènes se déroule durant un interrogatoire. Pour s’y préparer, elle a regardé des documentaires sur des personnes qui racontent des évènements traumatisants. « Les gens racontent leurs histoires de manière souvent détachée, et puis il y a parfois un mot, un détail, qui vont les faire basculer. J’ai essayé de construire mon personnage en tentant de trouver un équilibre entre sa grande force et sa vulnérabilité. »

Les glaces, de Rébecca Déraspe. Mise en scène : Maryse Lapierre. Avec Christian Michaud, Anna Beaupré Moulounda, Olivier Normand, Valérie Laroche, Debbie Lynch-White, Daniel Gadouas, Marine Johnson. À La Licorne, du 4 octobre au 5 novembre.