Elles étaient dans la même classe en première année du primaire, mais c’est à 10 ans, à l’issue d’une classe verte avec l’école, que leur amitié s’est scellée. Trois décennies plus tard, ce lien inaltérable perdure entre Fanny Britt et Alexia Bürger, au point d’être au cœur de leur pièce de théâtre Toutes choses.

Pour l’écrivaine Fanny Britt et la metteure en scène Alexia Bürger, l’amitié est un thème qui allait de soi. Leur toute première pièce de théâtre commune, elles ont décidé de la tisser en s’attardant non pas à une amitié anonyme ou générique, mais en s’inspirant de leur propre histoire, en puisant dans cette relation hors norme qui les attache l’une à l’autre.

Pour interpréter leurs alter ego, elles ont choisi des actrices en qui elles pouvaient se reconnaître : Sophie Cadieux dans le rôle de la Brune, Kathleen Fortin dans celui de la Rousse. « On ne voulait pas travailler avec des amies de longue date ; la matière est tellement proche de nous, explique Alexia Bürger. C’est un rêve de pouvoir diriger ces deux interprètes virtuoses. »

PHOTO DAVID OSPINA, TIRÉE DU SITE DU THÉÂTRE DE QUAT’SOUS

Sophie Cadieux (à l’avant) dans le rôle de la Brune (Alexia Bürger), Kathleen Fortin dans celui de la Rousse (Fanny Britt) dans la pièce Toutes choses

À l’image d’Alexia Bürger et de Fanny Britt, qui ont passé toute leur scolarité primaire, secondaire et collégiale côte à côte, la Brune et la Rousse n’ont pas besoin de tout se dire pour se comprendre. Elles partagent la même histoire, complètent souvent la pensée de l’autre, peuvent discuter de tout et de n’importe quoi… et entretiennent un amour inconditionnel pour le film Stand by Me. « On l’a vu rapidement après sa sortie en 1986 ; on avait 11 ans », se souvient Fanny Britt. Cette dernière a craqué pour le timide Wil Wheaton, tandis que sa complice n’avait d’yeux que pour River Phoenix. Plusieurs répliques de la version française de cette œuvre culte signée Rob Reiner émaillent d’ailleurs le texte.

L’art pour garder l’amitié vivante

À l’adolescence, c’est devant le film My Own Private Idaho que leur amitié a continué d’éclore. Alexia n’avait pas changé d’idée pour River Phoenix ; Fanny écrivait des lettres d’amour dans son journal intime à l’intention de Keanu Reeves ! « Et je compilais une liste des femmes qu’il embrassait », dit la dramaturge en riant.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

La complicité est palpable entre les deux femmes.

C’est aussi ensemble qu’elles ont découvert une passion dévorante pour le théâtre à la fin du secondaire. « On venait au Quat’Sous, où on a découvert le théâtre contemporain et les grands textes anglophones traduits pour la première fois, dit Fanny Britt. Je me rappelle qu’on vouait un culte à la pièce Les années, de Cindy Lou Johnson, dans laquelle jouait Markita Boies, ajoute Alexia Bürger. Le Quat’Sous a été fondamental dans nos vies. »

C’est donc naturellement dans cette institution de l’avenue des Pins Est que les deux créatrices ont choisi de présenter leur première création commune. Certes, elles ont travaillé côte à côte quelques fois au cours des dix dernières années – notamment pour l’écriture de la pièce Lysis, commandée par la metteure en scène et directrice du TNM, Lorraine Pintal –, mais Toutes choses est le premier véritable projet théâtral à deux. « C’est la première fois que j’ai le privilège de mettre un texte de Fanny en scène », laisse savoir Alexia Bürger. « Si on exclut la pièce que j’avais écrite en première secondaire pour le cours d’anglais », renchérit sa complice.

Le geste de mettre en scène un texte écrit par une presque sœur vient-il avec une pression supplémentaire ? « On a un rapport de confiance mutuelle si grand que ça nous protège en quelque sorte », estime la metteure en scène.

Au départ, c’est sûr qu’il y avait chez moi un vrai désir de l’impressionner. Ce désir qu’elle aime mon texte a été un moteur. Et dès la première lecture, j’ai senti qu’elle comprenait ce que je voulais dire.

Fanny Britt, au sujet de travailler avec Alexia Bürger

« Ce texte est tellement vivant, il y a tout là-dedans. Les tableaux s’accumulent, les couleurs se superposent. C’est précieux et rare, cette cohésion », dit Alexia Bürger.

Fanny Britt répond sur-le-champ : « Il aurait été impossible pour moi d’écrire ce texte pour quelqu’un d’autre. » Elle se tourne vers son amie : « J’ai écrit comme ça parce que c’était toi. » Elle poursuit : « On représente souvent l’amour romantique dans la fiction. C’est bien que, pour une fois, ce soit l’amitié qu’on célèbre… »

L’amitié sans attentes

Or, qu’est-ce que l’amitié ? Les deux créatrices se sont moult fois posé la question lors de l’élaboration de ce projet « particulièrement précieux ». « D’une certaine façon, l’intimité en amitié est plus grande que l’intimité amoureuse. En amitié, on a davantage la capacité d’aller dans sa vulnérabilité », croit Alexia Bürger.

Fanny Britt poursuit : « Une amie peut te servir de perspective lorsque tu en as besoin. C’est une intimité libérée des attentes, une relation qui échappe à toute obligation. Dans notre cas, on ne fait rien de spécial pour entretenir notre amitié. C’est elle qui nous arrose. Et notre entourage sait que cet espace entre nous est sacré. »

La pièce Toutes choses est présentée au Théâtre de Quat’Sous jusqu’au 14 mai.

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