Cinq artistes d’horizons variés se prononcent sur la question de la diversité au théâtre.

Émilie Monnet

L’artiste pluridisciplinaire de mère anichinabée et de père français vit une période charnière dans sa carrière. Elle a été choisie comme artiste en résidence à Espace Go et son agenda est rempli pour la saison en cours, notamment avec la création de sa pièce Marguerite : le feu. « Il y a une ouverture du milieu pour faire en sorte que les voix autochtones soient mieux entendues. Ce qui est bien, c’est que je sens que derrière ces invitations, il y a un réel intérêt pour le cheminement artistique, la vision du monde des artistes. Je préfère voir ça comme ça plutôt que de me dire que ces artistes sont invités pour satisfaire à des exigences pour des bourses… »

La société est plus prête à nous entendre.

Émilie Monnet

« Il y a eu des évènements traumatisants récemment, je pense à la mort de Joyce Echaquan ou aux pensionnats pour autochtones, qui ont soulevé des questions sur le racisme systémique. Les gens réalisent que c’est une conversation qu’on doit avoir en société et il n’existe pas de meilleure façon de le faire que par l’art. »

« Comme artiste autochtone, chaque projet est politique. On n’y échappe pas. On a une responsabilité, notamment envers nos communautés. Lorsque ma pièce Okinum a été présentée au Centaur, en septembre, un groupe d’étudiants autochtones de Dawson et de John Abbott sont venus y assister. La plupart n’avaient jamais mis les pieds dans un théâtre. Ils m’ont posé beaucoup de questions sur mon cheminement. C’est important de leur montrer que ce chemin est possible. »

Tatiana Zinga Botao

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Tatiana Zinga Botao

Diplômée du conservatoire d’art dramatique de Montréal en 2014, la comédienne d’origine congolaise ayant grandi en Belgique estime que la diversité est encore loin d’avoir la place qui lui revient sur les scènes montréalaises. « Les médias mettent beaucoup de l’avant le bagage culturel différent des artistes, mais quand on regarde de plus près, on réalise qu’on nous confie des rôles très peu significatifs. Parce qu’on était invisibles avant, on nous met partout sur les affiches. On sert un peu de faire-valoir. On se demande d’ailleurs parfois si on est là pour les bonnes raisons. Les compagnies ont des cases à cocher pour les subventions. C’est à peine caché. »

« J’ai même l’impression qu’avec la pandémie, on a fait un bond en arrière. J’ai été déçue de voir les programmations pour la saison qui vient. On se retrouve avec des familles entières interprétées par des brunes aux yeux bleus. L’imaginaire en a pris un coup ! Sur scène, tout est possible. »

« Il y a du travail qui se fait, je le réalise. Ceux qui viennent de finir leurs études passent plus d’auditions. Mais le problème, c’est qu’on donne de la place à deux personnes pour représenter toute la diversité. Il faut une pluralité de voix. »

La diversité n’est pas qu’une affaire de couleur de peau. Diversifions les visages ! En art, c’est quand on prend des risques qu’on fait de bonnes choses.

Tatiana Zinga Botao

C’est notamment pour avoir accès à des rôles d’envergure qu’elle a fondé sa propre compagnie théâtrale, La Sentinelle, avec Philippe Racine et Lyndz Dantiste. « On ne voulait pas attendre que le téléphone sonne. Vu qu’on nous a dit qu’on ne pouvait pas interpréter les textes d’ici, on s’est dit : on va en chercher d’autres, qui sont plus proches de nous. » Ensemble, ils ont notamment présenté la pièce Qui veut la peau d’Antigone ? à Espace Libre. Tatiana Zinga Botao sera aussi de la création Les filles du Saint-Laurent au Théâtre d’Aujourd’hui et reprendra Ceux qui se sont évaporés au même théâtre.

Sasha Samar

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Sasha Samar

Arrivé au Québec en 1996, l’acteur d’origine ukrainienne se réjouit de voir la diversité « exploser sur scène ». « C’est un truc formidable. Il faut en profiter pendant que c’est à la mode. Présentement, cette ouverture à la diversité est politique ; elle vient d’une demande forcée des différents conseils des arts. On se rachète du silence radio qui existait depuis des années. Mais peu importe. C’est une belle occasion de montrer tout le talent des artistes de la diversité. En particulier celle des interprètes de couleur, qui sont très recherchés pour parler de l’immigration. Il y a deux ans, ils n’étaient nulle part… »

Il ne faut pas penser que la bataille est gagnée. Ce n’est pas une garantie à vie.

Sasha Samar

« Pensez aux femmes qui se sont battues [pour plus de représentativité au théâtre] dans les années 1970. Elles ont réussi à avoir un théâtre, Espace Go, mais c’est vite retombé et, jusqu’à tout récemment, il n’y avait à peu près que des hommes comme auteurs et metteurs en scène. »

Sasha Samar sera de la prochaine production de La Maison Théâtre, Antigone sous le soleil de midi. Il joue aussi dans la pièce anglophone Yev, où il incarne… un méchant Russe. Un rôle qui lui incombe souvent à cause de son faciès et de son accent slave. Il est heureux de pouvoir travailler, mais aimerait sortir plus souvent de ces stéréotypes.

« Il faut penser plus loin. On n’a pas besoin d’expliquer pourquoi un frère et une sœur ont des accents différents. Tout se peut au théâtre. Il y a plein d’acteurs dont on ignore l’existence à cause de leur accent. En plus, quand tu n’es pas né ici, tu n’as pas de réseau artistique, pas de gang. Là, la gang nous ouvre la porte ; il faut en profiter pour bâtir notre réseau. Le public aussi veut voir sur scène le reflet de Montréal et pas juste entendre du français normatif qui n’existe pas dans la rue… »

Patrick Emmanuel Abellard

PHOTO ANDREJ IVANOV, COLLABORATION SPÉCIALE

Patrick Emmanuel Abellard

Le comédien d’origine haïtienne vient tout juste de terminer les représentations de Manuel de la vie sauvage et se lancera en novembre dans une grande tournée québécoise avec le solo King Dave. Pour lui, pas de doute : « Il y a des efforts concertés pour que tous les Québécois puissent se voir, se reconnaître au théâtre. C’est important. Je me souviens de la première fois où j’ai reconnu ma tante, ma grand-mère sur scène. C’était il y a deux ans seulement, au Centaur, dans la pièce How Black Mothers Say I Love You. Ça m’a fait un boum au cœur ! »

L’acteur qui a terminé en 2015 sa formation théâtrale au collège Dawson travaille dans les deux langues officielles. Il reconnaît que les théâtres francophones ont tardé à suivre leurs homologues anglos dans le dossier de la diversité. « Du côté anglophone, il y a une compagnie de théâtre, Black Theater Workshop, qui est très inclusive et qui met de l’avant des histoires d’Afrodescendants. » La pareille n’existe pas chez les francophones.

Lorsque je rencontre des jeunes de la diversité qui songent à une carrière artistique, leurs premières questions concernent toujours l’ouverture du milieu. Est-ce qu’ils auront la possibilité de travailler ? Je leur dis que nous sommes en pleine vague de la diversité !

Patrick Emmanuel Abellard

« Je crois qu’il n’y a pas de meilleur moment pour sortir des écoles. En plus, Montréal est un des seuls endroits au monde où l’on peut se développer comme acteur dans deux langues distinctes, et ce, tant au théâtre et au cinéma qu’en doublage ou en jeux vidéo. Il y a beaucoup d’occasions. »

Alice Pascual

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Alice Pascual

Depuis sa sortie du Conservatoire de Montréal en 2009, Alice Pascual a participé à plusieurs productions, dont Embrasse présentée au TNM, puis au Centaur cette saison. En matière d’ouverture à la diversité, elle estime que les choses ont beaucoup changé récemment. « Il y a un véritable effort collectif qui est visible. On sent que ça passe moins bien si une pièce présente une distribution avec juste des gars et juste des Blancs. »

Née en France d’un père andalou et d’une mère de la Côte-Nord, l’actrice ne cadre pas dans l’image qu’on se fait ordinairement de la diversité, plus visible à l’œil nu. Et pourtant… « Je me considère de la diversité, ne serait-ce que par mon nom de famille. C’est important d’en parler, car beaucoup de gens sont dans mon cas. »

Je ne suis pas représentative d’un immigrant de deuxième ou de première génération qui arrive. Mais je suis diversifiée de l’intérieur !

Alice Pascual

« On ne peut pas trancher au couteau : soit tu es québécois, soit tu es de la diversité. C’est souvent un mélange assez subtil de différentes origines qui font que c’est difficile de catégoriser la personne. Ce n’est pas noir ou blanc et mon cas reflète bien la complexité de la question de la diversité. »

« Je trouve tout de même dommage que, sur scène, il faille catégoriser. J’aimerais que tout le monde puisse jouer tout le monde, qu’une Latina du Salvador interprète une Johanne, et vice versa. Mais, avant d’y arriver, il faut favoriser les gens de la diversité, pour permettre à des voix artistiques de se développer. On va en avoir besoin comme société. »