Cette critique devait paraître le 15 mars 2020. Avec la fermeture des théâtres, elle n’a jamais été publiée. Un an plus tard, on peut la lire comme un instantané du début de la crise sanitaire.

Ironie du sort d’une nouvelle pandémie. En général, les comédiens qui montent sur les scènes de nos grands théâtres sont privilégiés. Or, depuis l’annonce de la Santé publique [le 12 mars 2020], ce sont les acteurs qui jouent dans des salles de moins de 250 places qui sont favorisés, car leurs spectacles peuvent rester à l’affiche, malgré la crise de la COVID-19. Alors que les autres théâtres doivent fermer.

C’est le cas de Trip, une pièce écrite et mise en scène par Mathieu Quesnel qui nous fait revivre les années psychédéliques. Le spectacle, présenté à Espace Libre, s’inspire entre autres des expériences sous l’influence du LSD de Ken Kesey, auteur de Vol au-dessus d’un nid de coucou. À l’invitation de Quesnel, 16 artistes et interprètes collaborent avec fougue à cette proposition déjantée ; une expérience de théâtre expérimental, proche des créations collectives des années 60 et 70, infusée de vapeurs hallucinogènes.

Drogue douce

Dès l’entrée en salle, on sert aux spectateurs un shooter de « Kool-Aid »… « avec drogue ou sans drogue, vous avez le choix » ! Les comédiens vont maintenir le suspense, en ne dévoilant jamais si la production a bel et bien mis une substance psychotrope dans nos boissons… Les facultés du représentant de La Presse n’ont toutefois pas été embrouillées durant la représentation.

Le personnage central se nomme Lucie Sauvé D’Amours (comme dans… LSD). Arrivée au purgatoire, elle va revoir le film de sa vie de rebelle (le rôle est joué par l’excellente Amélie Dallaire, une comédienne à suivre). Elle est accompagnée de 15 interprètes qui font plusieurs choses durant la représentation. Parmi eux, on voit Yves Jacques jouer de la batterie ; Olivier Morin exécuter une « danse à Saint-Dilon » ; Sylvie Potvin fabuler dans le rôle d’une « medium al dressed » ; et Joanie Martel chanter avec émotion de sa voix chaude et profonde.

Rire et délire

Comme dans sa pièce Je suis mixte, créée à La Licorne en 2018, Mathieu Quesnel se lâche lousse ! Il a mis au monde un délire dramatique libre, dans l’esprit fou des années 60. Sa proposition scénique est outrancière, éclatée… Tout peut arriver durant la représentation (ou presque) !

Durant deux heures, le public connaîtra l’extase et la grâce, mais aussi le bad trip, car décrochages et répliques gratuites il y aura. Il y a aussi de la nudité, une partouze avec des personnages en transe, du karaoké, des projections, des chorégraphies, des chansons, des lazzis, des grivoiseries… Dixit le comédien Simon Lacroix qui interpelle ses partenaires de jeu dans une scène surréaliste : « On croirait voir des chiens fous jouer dans un parc à chiens ! »

PHOTO GABRIELLE DESMARCHAIS, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Trip, de Mathieu Quesnel

Finalement, ce qu’on retiendra de Trip, c’est l’immense bonheur de jeu transmis par cette joyeuse bande de troubadours 2.0. Trip nous donne aussi l’occasion d’entendre du bon rock, sous la direction musicale de Navet Confit. Des Grateful Dead aux Beatles, en passant par Lou Reed. Toutefois, la création de Quesnel demeure un divertissement étrange et brouillon, sans véritable sens. Du théâtre qui change le mal de place. En ce début de pandémie, c’est déjà beaucoup.

PHOTO GABRIELLE DESMARCHAIS, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Trip, de Mathieu Quesnel