Où sont les femmes en théâtre ? Pourquoi les entend-on si peu ? Comment faire pour les voir davantage ? C'est un véritable chantier féministe sur la place des femmes en théâtre qui se déroule toute la semaine prochaine à Espace Go. Conférences, causeries, ateliers participatifs sont au programme, en vue d'arriver avec des propositions concrètes pour faire bouger les choses. Explications en cinq temps.

L'éveil

« On est 50 % de la population : est-ce normal que la voix des femmes ne soit pas entendue autant que celle des hommes dans le milieu des arts ? » Cette question, Marilyn Perreault se la pose régulièrement, tout particulièrement depuis les recherches du mouvement des Femmes pour l'équité en théâtre (F.E.T.), dont elle est l'une des instigatrices. Ces recherches ont démontré noir sur blanc les inégalités ambiantes : entre 2012 et 2017, les femmes étaient quasi absentes des grandes scènes de Montréal et de Québec, ont-elles révélé l'an dernier. Pas un seul texte de femme chez Duceppe et à peine 7 % au TNM, pourtant dirigé par une femme, Lorraine Pintal. À Espace Go, consacré à la parole des femmes, moins de la moitié (47 %) des textes présentés étaient signés par des femmes. Du côté des mises en scène, les femmes demeuraient partout minoritaires. Les chiffres révélaient aussi que c'est surtout sur les plus petites scènes ou dans le théâtre jeunesse qu'elles se retrouvaient en majorité.

Le changement

Depuis, on note un certain vent de changement. La programmation du Rideau Vert de 2018-2019, baptisée « Place aux femmes », a été 100 % féminine, Espace Go s'est vanté d'une saison où les femmes sont « omniprésentes » tant en écriture qu'en interprétation. Même le TNM s'est félicité, la semaine dernière, de sa prochaine programmation, « Rêver grand », affichant une parité des artistes et des concepteurs. Le chantier féministe, lancé demain, doit d'ailleurs révéler de nouvelles statistiques, recueillies cette fois par le Réseau québécois en études féministes (RéQEF), pour faire état de cette toute récente évolution. « On est contents si une saison est féminine, mais si la directrice ajoute : "Ce ne sera pas tout le temps comme ça", on est moins contents, nuance ici Marilyn Perreault. Il est important que ce ne soit pas juste une vague ! »

La sensibilisation

C'est dans le cadre de cette mobilisation grandissante des femmes du milieu qu'Espace Go, dirigé par Ginette Noiseux, a décidé, l'an dernier, de lancer un vaste chantier de réflexion, d'analyse et de recherche de stratégies, lequel débute demain. Des centaines de participantes (et plusieurs participants, espère-t-on) sont attendues pour entendre le parcours de différentes femmes (Brigitte Haentjens, Suzanne Lebeau, Zab Maboungou), réfléchir à l'histoire des femmes (et notre absence de « matrimoine »), analyser ce qui se fait ailleurs (notamment en France) et déboulonner plusieurs mythes. Objectif : « Ouvrir les yeux sur le prix à payer pour qu'une femme arrive à créer, résume Ginette Noiseux. On a le sentiment qu'on travaille dans un milieu progressiste de gauche, mais ce n'est pas si simple, il y a des biais inconscients. » Par exemple : pourquoi les femmes demeurent-elles invisibles, pourquoi est-ce si difficile pour elles de se bâtir une crédibilité, « pourquoi on pose 10 fois plus de questions aux femmes qu'aux hommes » ?

Les pistes

Les femmes interrogées ici ne manquent pas d'idées, qu'il s'agisse d'éducation, en veillant à ce que les jeunes lisent autant des textes de femmes que d'hommes, ou de sensibilisation, en incluant la question de la parité dans l'attribution de subventions. Et pourquoi pas un prix du Conseil des arts pour reconnaître le travail d'une femme, qui servirait de modèle pour toutes les autres ? Les Femmes pour l'équité en théâtre ont des pistes à proposer. Sans parler de l'importance de s'unir. « C'est important de joindre nos voix », signale l'humoriste Dorothy Rhau, instigatrice du Salon international de la femme noire et présidente d'Audace au féminin, invitée ici à titre d'inspiratrice. Que ce soit au théâtre, à la télé, au grand écran ou à la mise en scène, en matière de parité ou de diversité, elle espère « voir du changement rapidement », dit-elle. « On risque de passer à côté de talents exceptionnels, et ce serait dommage. »

Les attentes

Toutes les femmes ici interrogées l'ont souligné : il est important que les hommes se sentent eux aussi interpellés. Catherine Bourgeois, metteuse en scène et scénographe, membre des F.E.T. et du comité directeur du chantier, espère surtout qu'on assistera enfin à une « réelle et sincère discussion » sur la place des femmes dans le milieu, qu'on abordera de façon « franche » les défis, et surtout, « qu'on arrivera avec des propositions concrètes ». Mais elle n'est pas dupe : « On peut crier tant qu'on veut, organiser des chantiers, sortir des statistiques, si les gens qui prennent des décisions ne se sentent pas interpellés, j'ai peine à croire qu'il y aura des changements. »

Le chantier féministe sur la place des femmes en théâtre se déroule du 8 au 13 avril à Espace Go. Les activités sont gratuites et ouvertes au public.