Le metteur en scène Philippe Cyr, révélé en 2012 par la pièce Selfie, a élu domicile à l'Usine C, où il a commencé il y a quelques mois une résidence d'artiste. C'est là que « L'Homme allumette » - du nom de sa compagnie - planifie ses nouvelles créations et travaille à la reprise de trois de ses spectacles. La Presse l'a rencontré.

On retrouve Philippe Cyr attablé près de l'immense fenêtre qui donne sur la rue Panet. C'est de là (aujourd'hui) qu'il travaille en ce moment sur la reprise de trois spectacles : Le brasier, de David Paquet, qui en est à sa troisième série de représentations ; Ce qu'on attend de moi, créé l'an dernier avec Gilles Poulin-Denis ; et J'aime Hydro, immense succès porté sur scène par Christine Beaulieu.

« En ce moment, on est beaucoup dans une organisation de productions, déplore Philippe Cyr, avec le calme monastique d'un artiste en résidence. On crée de nouveaux projets qui meurent après deux ou trois semaines. Avec toutes les ressources qu'on investit là-dedans, créatives, humaines et matérielles, il y a quelque chose d'indécent à ne pas faire vivre nos productions plus longtemps. »

D'un point de vue créatif, poursuit le metteur en scène, c'est aussi une façon de rejoindre plus de gens.

« On vient de lancer la nouvelle tournée de J'aime Hydro à Trois-Rivières en présence de 1000 personnes, et je suis vraiment ravi de constater que le public est aussi diversifié. On ne parle pas d'un public de niche, et ça, c'est très réjouissant. » 

« On dit que les oeuvres doivent être accessibles, mais on parle d'un théâtre documentaire [d'une durée de quatre heures] où il n'y a pratiquement pas de décor et les gens adhèrent à ça. Moi, ça me donne confiance au public. »

- Le metteur en scène Philippe Cyr, à propos de J'aime Hydro

Est-ce que la représentation d'une pièce est l'occasion pour un metteur en scène d'ajuster le tir ? De peaufiner quelques passages ?

« Oui, c'est sûr, répond Philippe Cyr. J'ai l'impression qu'on comprend l'oeuvre ou le projet sur lequel on travaille le soir de la première. Quand on s'assoit dans le public et que, tout d'un coup, on voit la réaction des gens. On écoute le show à travers eux. Je trouve qu'il se passe quelque chose à ce moment-là. Et plus on joue le spectacle, plus on voit ce qui tient la route et ce qui ne marche pas. »

« J'aime Hydro est constamment mis à jour [selon l'actualité], et le tiers du spectacle Ce qu'on attend de moi - où chaque soir un spectateur se livre au public sur son désir d'être ailleurs et de changer sa vie - a été réécrit, illustre le metteur en scène. Le théâtre est un art vivant, donc c'est sûr que ça bouge. » Cela dit, il y a des pièces qui sont à peine retouchées. C'est le cas du Brasier.

« C'est plus rare, indique Philippe Cyr, mais c'est comme si on avait bénéficié des longues semaines de résidence au Théâtre d'Aujourd'hui pour la création. Quand on a un doute, on se réfère aux captations vidéo du spectacle ou au texte de création annoté. Mais dans le cas du Brasier, les acteurs ont le spectacle dans le corps. Ils l'ont joué 43 fois. Dès la première répétition, ils étaient extraordinaires ! »

PHOTO PIERRE ANTOINE LAFON SIMARD, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Christine Beaulieu dans J'aime Hydro

Temps de réflexion

En entamant sa résidence d'artiste, en janvier, Philippe Cyr avoue avoir commencé par un temps d'arrêt. Une étape obligée avant d'entamer un nouveau cycle de création.

« J'ai pris le temps d'imaginer ce que je voulais pour le futur, dit-il. Ça fait quelques années que j'enchaîne les mises en scène, pour ma compagnie, mais aussi pour les écoles de théâtre, j'avais besoin de m'arrêter et de faire le tri de mes projets, de les prioriser. »

En ce moment, il s'intéresse au thème de la violence. « On est rendu à un point d'intériorisation et d'insensibilité assez grave, croit-il. Je nous trouve très hypocrites par rapport à ça. Il y a une violence verbale, à la télévision, dans les jeux vidéo, qui atteint des sommets, et malgré cela, il n'y a pas beaucoup de censure. Pas de morale non plus comme c'est le cas avec la sexualité. »

À travers ses recherches et ses projets, le metteur en scène continue de se questionner sur ce que l'on peut montrer ou non.

« Le thème qui guide mes choix artistiques, c'est l'idée de la transgression », explique-t-il. 

« Je me pose toujours la question : elle est où, la ligne ? Qu'est-ce qui arrive quand on la dépasse ? Est-ce que ça nous aide à redéfinir les choses ? Qu'est-ce qui est présentable ? Qu'est-ce qui ne l'est pas ? C'est une question qui a été soulevée avec la sortie du film Le fils de Saul. »

- Le metteur en scène Philippe Cyr

Philippe Cyr a un deuxième projet. Il a l'intention de traiter de « la censure, de la liberté d'expression et de la responsabilité qui vient avec ». Il pense entre autres à SLĀV, de Robert Lepage, ou à la participation de Bertrand Cantat dans la trilogie Des femmes de Wajdi Mouawad. « On invoque peu la question de la responsabilité, comme si les artistes avaient une liberté absolue, je trouve ça étonnant. »

Il a fait équipe avec Anne-Marie Voisard, auteure du Droit du plus fort, qui mène une série d'entrevues sur ces questions auprès d'artistes et d'intellectuels, d'ici et d'ailleurs. « Elle aborde toutes ces questions de liberté d'expression, de publication, de censure, et ça nous permet de qualifier la censure. De comprendre comment elle s'articule, comment elle se transforme en autocensure. »

Au fil des semaines, plusieurs de ses proches collaborateurs sont venus le voir dans sa « résidence » pour discuter avec lui.

C'est le cas de la conseillère dramaturgique Emmanuelle Sirois et de la scénographe Odile Gamache, qui a travaillé avec lui sur les trois spectacles qui seront repris cette année. Des temps d'échanges fructueux, donc, qui, combinés à des moments de réflexion et de lectures, permettent à Philippe Cyr d'écrire la suite.

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À l'Usine C :

Le brasier, de David Paquet. Avec Dominique Quesnel, Kathleen Fortin et Paul Ahmarani. Mise en scène de Philippe Cyr. Du 6 au 9 mars, suivi d'une tournée québécoise en mars.

Ce qu'on attend de moi, de Philippe Cyr et de Gilles Poulin-Denis. Mise en scène de Philippe Cyr. Partition pour un spectateur. Du 13 au 16 mars, suivi d'une tournée à Ottawa et à Vancouver.

J'aime Hydro, de Christine Beaulieu. Avec Mathieu Gosselin et Christine Beaulieu. Mise en scène de Philippe Cyr. Du 10 au 15 septembre, précédé d'une série au Théâtre Maisonneuve du 16 au 22 avril.

PHOTO FOURNIE PAR LE CENTRE THÉÂTRE D'AUJOURD'HUI

Paul Ahmarani, Kathleen Fortin et Dominique Quesnel dans Le brasier de David Paquet