À l'Espace Go, Brigitte Haentjens et Céline Bonnier nous proposent une rencontre originale avec l'oeuvre de Patti Smith, une créatrice éclectique qui a consacré sa vie à l'art.

Tout le monde s'arrache Patti Smith. Elle a été invitée à dormir dans la maison d'Albert Camus par la fille du mythique écrivain. Elle a chanté à la cérémonie des prix Nobel qui a honoré Bob Dylan. Elle a offert un concert-surprise dans une galerie d'art branchée de Los Angeles quelques jours avant les Oscars. Elle sera en tournée en Europe l'été prochain. 

À 72 ans, l'icône punk rock n'a rien perdu de sa pertinence et de son élan créatif. Et ceux qui ne la connaissent pas pourront la découvrir dans un show, Parce que la nuit (en référence à son succès Because the Night), que lui consacre la metteure en scène Brigitte Haentjens, écrit avec Dany Boudreault et pensé pour Céline Bonnier, qui a collaboré à sa création.

Pourquoi Patti Smith ? « Parce qu'on vit à une époque formatée et qu'elle incarne la liberté créatrice, observe Brigitte Haentjens, qui a découvert l'artiste il y a 25 ans, en montant une pièce de Sam Shepard. Je l'ai redécouverte avec Just Kids, un livre sur lequel j'ai beaucoup tripé. À ce moment-là, j'avais envie de travailler avec Céline et je cherchais un projet. Je l'ai tout de suite vue là-dedans. Je sentais des affinités entre elle et Patti Smith. Elles ont la même polyvalence artistique. »

Céline Bonnier - qui connaissait surtout la vedette rock, moins l'écrivaine ou la photographe - se dit impressionnée par l'ampleur et la multiplicité des talents et des champs d'intérêt de Patti Smith. « L'art est au coeur de sa respiration, c'est sa colonne vertébrale, observe la comédienne. Je ne savais pas qu'elle dessinait et qu'elle écrivait autant. Quand on lit Just Kids, elle me faisait penser à Sylvia Plath. Elle a cette écriture fine, tout en dentelle. Un peu comme Sylvie Drapeau aussi, qui a cette façon d'écrire l'enfance, de la chérir. Patti Smith a une reconnaissance très douce de ce qui l'a nourrie et qui fait qu'elle n'a pas sombré dans la dope ou dans une exacerbation de son ego comme plusieurs l'ont fait. »

Les hommes de Patti

Brigitte Haentjens et Dany Boudreault abordent la vie de Patti Smith par l'entremise des hommes qui ont marqué sa vie. Que ce soit son compagnon de la première heure Robert Mapplethorpe ou le dramaturge Sam Shepard, avec qui elle a vécu une passion fulgurante, ou encore son mari, Fred Smith. 

Ils évoquent aussi les figures masculines qui ont été des inspirations pour Patti Smith tout au long de sa vie : Jean Genet, Jack Kerouac ou encore Rimbaud, qu'elle appelait « mon amant ». Une vie pleine, donc, mais qui aura tout de même été consacrée à la création et à l'art. Et c'est le cas encore aujourd'hui. 

« Patti Smith a réussi le tour de force d'avoir su rester vivante et vibrante. »

- Brigitte Haentjens

Qu'il s'agisse de ses spectacles, de ses livres, qui connaissent un immense succès (Just Kids a remporté un National Book Award), et même de son compte Instagram, qu'elle alimente de ses photos en noir et blanc, Patti Smith est toujours aussi cool.

Pour l'incarner, Céline Bonnier s'est plongée dans son univers : lectures, musique, promenade à New York... Avec Brigitte Haentjens, elle a visité l'exposition Mapplethorpe au Musée des beaux-arts de Montréal, en 2016. « Je me suis même acheté une table tournante, avoue la comédienne en riant. Je suis un peu obsédée. » 

Pas question toutefois de « reproduire » le personnage Patti Smith. « Parce que la nuit n'est pas un biopic », insiste la metteure en scène. 

« On s'est dit qu'on n'allait pas l'imiter, mais plutôt l'évoquer. On n'est pas dans l'incarnation habituelle d'un personnage, avec une ligne émotive ou psychologique et des raisons de réagir. On est plutôt dans un scrapbook ou un fanzine, mais sur scène. »

- Céline Bonnier

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Céline Bonnier et Brigitte Haentjens

Du théâtre rock

Le décor rappellera donc une scène de musique sur laquelle on retrouvera trois musiciens tout au long de la pièce. Il y aura des lectures de textes, des chansons interprétées par Céline Bonnier et les autres comédiens de la distribution. « Il y a toujours un côté incantation quand Patti Smith est sur scène, observe Brigitte Haentjens. Elle cherche une communication profonde avec son public. »

« En entrevue, elle a déjà dit que c'est une connexion aussi profonde que celle entre une mère et son enfant, ajoute Céline Bonnier. Tu dois toujours être à l'écoute du public pour lui répondre et pour pouvoir raisonner avec lui. Elle dit des choses vraiment intéressantes sur une autre façon d'être sur scène. »

Pour Céline Bonnier, la découverte de l'univers de Patti Smith a provoqué une réflexion profonde sur la liberté qu'on s'accorde pour créer. « On dirait que cette époque-là avait une texture plus chaude, plus molle que maintenant, observe la comédienne, qui confiait récemment travailler à l'écriture d'un court métrage. Aujourd'hui, peut-être parce qu'il faut réussir plus rapidement et que les places sont rares, on est plus pressés, plus concentrés dans une chose. 

« Chelsea, par exemple, c'était une commune d'artistes comme je n'en ai pas connue, ça grouillait, il y avait une liberté de création, ajoute la comédienne. Il y avait peut-être moins de peur qu'aujourd'hui. Manifestement, ça me fait réfléchir : comment continuer, développer ce que j'ai en moi et qui m'intéresse encore ? Je ne dis pas que j'ai son talent, mais oui, j'aurais pu me concentrer sur le dessin - je dessine depuis plus de 20 ans - ou développer autre chose, comme la musique. J'y pense encore des fois, je me dis : je vais faire un disque. À 53 ans, pourquoi pas ? Avec ce spectacle, je vise un mot : liberté. »

Parce que la nuit

Texte de Brigitte Haentjens et Dany Boudreault, avec la collaboration de Céline Bonnier

Mise en scène de Brigitte Haentjens. Avec Alex Bergeron, Céline Bonnier, Dany Boudreault, Martin Dubreuil et Leni Parker.

Du 5 au 31 mars à l'Espace Go

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PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Patti Smith en concert le 27 janvier dernier, aux Pays-Bas