Chapitres de la chute raconte l'essor et la chute de la banque Lehman Brothers. C'est un roman et une pièce épiques de l'Italien Stefano Massini que les metteurs en scène Catherine Vidal et Marc Beaupré adaptent au Quat'Sous.

Pauvres comme Job, trois frères émigrent aux États-Unis et fondent un commerce, puis une banque d'investissement, qui les rendra riches comme Crésus. L'histoire des frères Lehman est celle de l'Amérique du capitalisme sauvage et de la finance aveugle. Une leçon que les mauvais élèves que nous sommes semblent incapables de saisir.

Le 10e anniversaire de la plus récente crise financière et de la faillite de la banque des frères Lehman peut encore et toujours servir d'avertissement, sinon d'enseignement, selon les metteurs en scène Catherine Vidal et Marc Beaupré.

«On a mis des visages sur cette histoire, dit Catherine Vidal. Sans condamner et sans glorifier. Les self-made-men sont charismatiques, mais ils ont laissé combien de perdants de côté?» 

«C'est un rappel que cette économie a été inventée. Ce n'est pas naturel, contrairement à ce  que les économistes veulent nous faire croire.»

Le matériel servant de base au spectacle est tiré à la fois d'un roman et d'une pièce de Stefano Massini. Le texte final évite la lourdeur de la terminologie financière ou économique. Il se concentre sur l'humanité des frères Lehman.

«Il y a des cauchemars dans le récit, souligne Marc Beaupré, mais c'est traité sous le thème du conte. Je ne dis pas que c'est léger et banal, mais un conte, c'est lumineux. C'est une belle histoire.»

«C'est un mélange de conte épique et de série HBO, ajoute Catherine Vidal. Il y a des moments entre père et fils qui pourraient se retrouver dans une série de fiction.»

Petite histoire

Chapitres de la chute diffère de L'art de la chute présentée récemment à La Licorne, dont le récit débutait au moment de la crise de 2008. Chapitres de la chute, pour sa part, précède cette débâcle financière.

«Notre show ne tente pas d'expliquer ce que sont les subprimes et le reste», explique Marc Beaupré. 

«La pièce de Massini est épique, théâtrale, ça ressemble à une tragédie grecque où des hommes ont trop tenté de rivaliser avec les dieux.»

Petits commerçants, les Lehman sont arrivés aux États-Unis, de Bavière, en 1844, et ils sont devenus banquiers avec astuce et roublardise. Trois générations de Lehman se sont succédé à la tête de leur entreprise.

«On voit toute la genèse de cette banque d'investissement avec, en filigrane, l'histoire du capitalisme tel qu'on le connaît aujourd'hui, note Catherine Vidal. Par exemple, dans les années 50, au moment où se déroule la série Mad Men, le mot marketing apparaît dans le discours des frères Lehman. Ils y avaient pensé.»

«Tour à tour, ils vont être confrontés à des problèmes de contrôle au sujet de leurs activités, poursuit Marc Beaupré. Ils sont dépassés et pensent même à suggérer une économie basée sur les mathématiques abstraites. En septembre 2008, ils ont déclenché la crise en déclarant faillite. Tout le reste est tombé.»

Interprètes

Pendant trois heures quarante, six interprètes racontent cette histoire dans la peau des divers personnages: Louise Cardinal, Vincent Côté, Catherine Larochelle, Didier Lucien, Igor Ovadis et Olivia Palacci.

«Ce sont d'abord des narrateurs sur scène. Ils deviennent ensuite des personnages. On n'a donc pas fait de typecasting. Hommes ou femmes incarnent autant les rôles masculins que féminins», précise Marc Beaupré.

Catherine Vidal souligne d'ailleurs qu'il y a réellement un problème de représentativité sur nos scènes. «Je crois aux quotas temporaires pour faire changer les choses», dit-elle. 

«Notre choix de comédiens soutient dramaturgiquement cette histoire. Ce ne sont pas six hommes blancs qui la racontent.»

En outre, les artisans du spectacle ne cherchent pas, ni Stefano Massini d'ailleurs, à montrer du doigt un responsable dans cette catastrophe financière.

«On essaie plutôt de montrer comment les Lehman Brothers font partie d'un tout, d'une économie qu'on a construite. Il s'agit de voir comment la bête a été nourrie à partir de réflexes de survie, de vanité, etc.», note Catherine Vidal.

En fait, même s'ils se sont montrés inventifs et qu'ils se sont adaptés aux nouvelles réalités économiques, les frères Lehman ont finalement été avalés par la bête.

«En 1929, raconte Marc Beaupré, Philip Lehman veut rendre possible que les plus petits ouvriers puissent investir dans les actions. Après ce qui est arrivé en 1929 et en 2008, on peut se demander si c'était une bonne idée. [...] Ce qui me fascine là-dedans, c'est de voir quand est-ce qu'on peut parler de vice ou de perversion du système?»

Et Catherine Vidal de conclure: «On peut comparer ça au roman Frankenstein: le docteur est dépassé par sa créature.»

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Chapitres de la chute est présentée au Quat'Sous du 16 octobre au 3 novembre. Il y aura discussion avec le public après la représentation du 23 octobre.