Bryan Perro voulait adapter Moby Dick pour la scène depuis longtemps. Après une première embardée au Théâtre Denise-Pelletier, l'équipage accoste au TNM avec, comme capitaine, Dominic Champagne. Après avoir mis le bateau à l'eau, Bryan Perro lui a laissé la barre volontiers.

Comment avez-vous travaillé pour transformer le roman encyclopédique de Melville en pièce de théâtre?

J'ai lu et vu tout ce qu'il y avait autour. Notamment la pièce belge à un personnage où Ishmael raconte le récit des naufragés de l'Essex qui ont eu affaire à un cachalot albinos et qui a inspiré Melville. Des choses plus techniques aussi sur les Basques, qui ont été les premiers à monter des fours sur les bateaux pour faire chauffer l'huile. Mais je ne pouvais pas faire un traité sur les baleines au théâtre. Je devais découper l'oeuvre. Je devais raconter cette grande histoire qui nous enseigne à être modestes envers la nature. L'adapter, c'était dégager la force et le rythme du roman qui en est un d'aventures.

Le capitaine Achab est au centre du récit. Dans votre texte, on sent qu'il souffre aussi.

On finit par le comprendre. On commence par le voir comme un démon, un fou attiré par sa vengeance. Plus ça avance, plus on comprend la nature de l'homme. Dans une scène fantastique, il parle avec Starbuck qui s'en va... Achab dit se sentir seul et avoir froid. Il demande son manteau à son second... qui n'est plus là. Comme spectateur, je ne peux pas adhérer à sa folie, mais je ne peux pas le haïr. C'est la force du personnage. Et Normand D'Amour en Achab m'a jeté sur le cul!

Comment avez-vous travaillé avec Dominic Champagne pour doser l'action et la réflexion dans le texte?

Il fallait que les scènes où l'on veut dire des choses plus profondes soient alternées avec l'action. C'est comme ça que le piston fait avancer la mécanique de la pièce. Dominic m'avait dit que pour adhérer à la pièce, il devait être capable d'y coller du texte. Je lui ai répondu: «Avec plaisir.» Je l'ai commencé seul, on l'a poursuivi à quatre mains et, pour la mise en scène, il a complété seul. On a eu une belle chimie.

Est-ce que, selon vous, la pièce célèbre la victoire de Moby Dick, donc de la nature, sur l'homme?

Si l'un ou l'autre gagne, on est perdants. Il faut vivre ensemble. Ce qui m'effraie dans la nature et ce que je retrouve dans Moby Dick, c'est ce que j'ai vu de Fukushima. La nature est là. L'homme construit sa centrale nucléaire. C'est solide, en béton. Le tsunami arrive et, en 14 secondes, l'humanité est effacée. Le message est clair.

Cette pièce a connu une longue gestation, des remises en question et quelques coups de barre, non?

J'ai assez d'expérience pour savoir qu'à un moment donné, je dois me retirer. C'était compris comme ça. On veut la meilleure oeuvre possible. Dominique y a vu, dès le départ, la quête du pétrole. On a fait quelques versions qui tournaient autour du pétrole, mais c'est naturellement tombé à l'eau. Moi, j'y voyais une magnifique aventure. Cela s'est modulé vers une bonne dose d'action, de pensée et de militantisme.

À la fin de processus de création, avez-vous des regrets?

J'accepte mon rôle et le fait qu'on puisse jouer avec mes jouets sans problème. C'est le sens même de la vie communautaire et c'est ce que nous enseigne Moby Dick. Ce qui importe, c'est que l'oeuvre soit jouée. Mon ego est satisfait. J'ai fait «Amos DAragon», traduit dans 22 langues et 26 pays. Je ne ferai plus jamais ça. L'important, ce sont les projets. Ma face peut complètement disparaître. Que les projets vivent et de belle façon.