Les 7 doigts de la main flirtent depuis leurs débuts avec le théâtre et la danse. Mais avec Le murmure du coquelicot, qui ouvre la saison du TNM, la troupe de cirque pousse d'un cran son intégration au théâtre. La pièce de Sébastien Soldevila a été écrite à la fois pour le comédien Rémy Girard et pour six artistes de cirque. La Presse a vu des extraits du spectacle qui prend l'affiche le 17 septembre.

Le cirque n'a jamais investi la scène théâtrale de cette façon. Le cofondateur des 7 doigts de la main Sébastien Soldevila estime avoir écrit une pièce pour acteurs et acrobates. Décomposant les numéros de cirque pour les intégrer à son histoire. Celle d'un acteur raté convoqué à une audition qui changera sa vie.

Ce n'est pas la première fois que le Théâtre du Nouveau Monde (TNM) accueille une troupe de cirque. Le Cirque Éloize y a présenté sa pièce Nebbia en 2008. Mais malgré l'approche théâtrale de cette pièce mise en scène par Daniele Finzi Pasca, c'est le langage du cirque qui dominait.

Dans Le murmure du coquelicot, Sébastien Soldevila fait tomber les frontières. Le cofondateur des 7 doigts a carrément écrit une pièce avec des dialogues, tout en y intégrant des performances d'artistes de cirque. «C'est un réel mélange. Il n'y a pas plus de cirque ou plus de théâtre, explique-t-il. On a décomposé les numéros de cirque pour les intégrer à l'histoire.»

À quelques jours de la première, l'auteur et metteur en scène répète avec sa troupe d'acteurs et d'acrobates le numéro d'ouverture, chorégraphié sur la pièce Au suivant, de Jacques Brel. «C'est l'idée de l'audition où l'on suit toujours quelqu'un et où on est toujours suivi de quelqu'un, détaille Sébastien Soldevila. Où l'acteur se demande s'il est assez bon pour devenir quelqu'un d'autre.»

Plus tard, il nous présente une scène où le personnage principal, Raymond Lemieur, se remémore une journée à l'école. Une journée où il a sorti un caleçon de sa poche de pantalon. Au lieu de raconter cette histoire, il la chante. «C'est un moment-clé, précise Sébastien Soldevila, parce que c'est à ce moment qu'il a décidé qu'il voulait être acteur», justifie-t-il.

Mais à quoi fait référence ce titre du «Murmure» ? «Le murmure du coquelicot est une référence à la peinture de Monet, explique Sébastien Soldevila, parce qu'elle représente une femme et son enfant, un parallèle avec le personnage de Raymond et celui de sa mère. Le murmure, c'est un peu les souvenirs que lui chuchote à l'oreille ce tableau.»

Écrite pour Rémy Girard

«Dès le départ, je voulais que Rémy Girard soit l'acteur principal, dit encore Sébastien Soldevila. Il a une voix, un poids, un passé qui pouvaient incorporer ce rôle-là. C'est quelqu'un qui a eu beaucoup de succès dans sa carrière d'acteur. Moi, je voulais le mettre sur l'autre voie... Celle d'un acteur au parcours difficile. J'ai écrit tous les textes en pensant à lui.»

«C'est un acteur qui n'a jamais pu obtenir un rôle important, détaille Rémy Girard, et qui, d'audition en audition, s'est fait refuser plusieurs fois. Il va même ajouter un «r» à son nom pour faire plus français... Je ne crois pas qu'il soit un mauvais acteur, mais la chance n'a jamais été au rendez-vous... Donc il va passer l'énième audition devant Mme B. Et cette audition va l'amener à reconsidérer sa vie d'acteur.»

Pascale Montpetit, elle aussi, n'a pas hésité à faire le saut (scusez-là...). La comédienne y incarne le rôle de la metteure en scène, Mme B., qui convoque en audition ce fameux Raymond Lemieur. Elle fera aussi un petit numéro acrobatique. «Ce que j'ai compris, explique-t-elle, c'est que ce ne sont pas les voltigeurs qui travaillent, ce sont les porteurs. Moi, je serai une nanovoltigeuse...»

Briser le numéro de cirque

La conception d'un spectacle hybride comme celui-ci n'est pas sans risque. L'été dernier, le Cirque Éloize a voulu réinventer la formule du cabaret acrobatique avec sa pièce La baronne du music-hall. Les créateurs, parmi lesquels Rémy Girard qui a coécrit le scénario, se sont rendu compte qu'il n'était pas aisé de briser le «numéro de cirque»...

«Pour briser le numéro de cirque, il a fallu incorporer l'élément cirque dès le début, et on a fait beaucoup de travail de recherche pour y arriver», insiste Sébastien Soldevila, qui cosigne la mise en scène avec sa compagne Shana Carroll. «Parce que même si la musique est très présente, il y a beaucoup de numéros de cirque qui se font au son de la voix et en tenant compte du sens des paroles.»

Diriger des acteurs et des acrobates représente tout de même un défi. Quelle est la différence fondamentale entre les deux? «Les artistes de cirque travaillent plus sur l'émotionnel, la réactivité, l'improvisation, alors qu'il faut aller plus en profondeur avec les acteurs, répond Sébastien Soldevila. Les acteurs sont la parole, tandis que les artistes de cirque extrapolent les émotions vécues par les personnages.»

«Je ne crois pas avoir vu une pièce de théâtre qui intègre des artistes de cirque de cette façon, confie Rémy Girard. Je ne sais pas comment les amateurs de théâtre vont réagir. Mais une chose est sûre, c'est une pièce de théâtre. C'est vraiment une rencontre entre deux personnages. Ça, c'est incontournable. Le défi, c'est de mixer les deux mondes.»

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Viens voir les acrobates!

Les artistes de cirque ont tous un rôle bien défini dans Le murmure du coquelicot. La plupart d'entre eux symbolisent des personnes que Raymond Lemieur (incarné par Rémy Girard) a rencontrées dans sa vie. Que ce soit des femmes qu'il a aimées, son père, sa mère, ou même lui étant plus jeune. Parfois, les artistes de cirque forment un choeur, où ils expriment les états d'âme de l'acteur. Comme dans les tragédies grecques.

> Samuel Tétreault

Ce spécialiste des équilibres est l'un des cofondateurs des 7 doigts de la main. Outre la pièce Loft, dans laquelle on l'a vu, il dirige le projet Fibonacci - des créations spontanées entre des artistes de cirque de deux pays.

> Émilie Bonnavaud

Elle a été la partenaire de main à main de Sébastien Soldevila. L'artiste française a joué dans Saltimbanco et du Cirque du Soleil, avant de se joindre aux 7 doigts de la main où on l'a notamment vue dans La vie.

> Raphael Cruz

Ce Californien diplômé de l'École nationale de cirque de Montréal en 2005 était de la première mouture du spectacle Traces. Il a aussi travaillé au Cirque du Soleil dans la pièce Iris, à Los Angeles. Dans Le murmure, il joue entre autres du piano.

> Matias Plaul

Cet artiste de cirque argentin spécialisé en clown et en acrobaties a joué pendant 10 ans avec la compagnie de l'Arena Circus School. Il a aussi joué dans Zed et Iris du Cirque du Soleil avant de se joindre aux 7 doigts de la main.

> Danica Gagnon-Plamondon

Cette ex-gymnaste diplômée de l'École nationale de cirque de Montréal en 2008, avec une spécialité en trapèze, a déjà joué dans les pièces PSY et A Muse des 7 doigts de la main.

> Suzanne Soler

Cette spécialiste du trapèze ballant a joué dans Nomade du Cirque Éloize pendant six ans. Elle a aussi joué dans les pièces Zed et Iris du Cirque du Soleil, avant de se lancer dans l'aventure des 7 doigts.