On ne songe pas aux bâtisseurs de la Baie-James quand on allume la lumière. Derrière cette prouesse technologique, il y a des vies d'aventure et des vies brisées que la conteuse Renée Robitaille éveillera à notre mémoire dans son nouveau spectacle Le chant des os.

On l'a entendue raconter d'un ton mutin des histoires folichonnes et des accouchements à peine croyables. Une douzaine d'années après qu'elle a fait ses débuts aux Dimanches du conte du défunt Sergent Recruteur, l'étiquette de conteuse coquine colle encore à Renée Robitaille. Son imaginaire s'aventure toutefois depuis bien longtemps hors de la chambre à coucher.

En 2007, dans Hommes de pioche, elle portait déjà des voix d'hommes qui travaillent dans les mines. Son plus récent spectacle, Le chant des os, raconte une terre de légende: la Jamésie, région du nord du Québec d'une superficie qui équivaut aux deux tiers de la France, et ses gigantesques barrages hydroélectriques.

«J'ai grandi en Abitibi. Mes oncles et mes tantes ont fait la Baie-James. Petite, j'ai vu en photo des camions gros comme des maisons et des roues plus grandes que des hommes, expose la conteuse. Ça vient chercher ma fierté, mes racines québécoises.»

Renée Robitaille n'est pas allée dans le Nord pour poursuivre son exploration des milieux ouvriers. «Ce qui m'intéressait, c'était la communauté et l'être humain, petite crevette fragile dans ce territoire hostile», précise-t-elle. La région qu'elle racontera est peuplée de gens «colorés qui sont capables d'en prendre», selon ses dires. «Tu ne peux pas vivre là si tu n'as pas une épaisse carapace.»

La conteuse admet avoir mis du temps à apprivoiser les gens, qui sont la matière première de son travail. Elle a beau être douce et posséder un joli minois, personne ne peut forcer la porte d'une âme pour en aspirer les confidences. «Ils ne voyaient pas du tout l'intérêt de faire ce que je faisais», raconte-t-elle.

Son projet a donc avancé à petits pas. En deux ans, elle a séjournée huit fois dans le Nord, ce qui, en soi, représente tout un casse-tête logistique et financier. Ses multiples allers-retours ont toutefois été la preuve la plus éloquente de la sincérité de sa démarche. Des gens ont commencé à l'inviter, à partager avec elle leur amour pour le territoire, à lui confier des histoires.

Vivre à la Baie-James, c'est vivre pour travailler. «Les gens sont là pour remplir leur coffre-fort, point», a constaté la conteuse. Conséquence: la famille passe souvent au second plan. «Les filles de ces hommes-là n'ont pas eu de père», a constaté Renée Robitaille. Une réalité qui l'a happée.

Le chant des os entremêle ainsi sa quête à elle et celle de Jasmine, l'une de ces filles sacrifiées par un père trop occupé à gagner sa vie et qui a connu une jeunesse difficile. «Jasmine est devenue une figure mythique pour moi, dit la conteuse. Ses troubles à elle me ramenaient à mes troubles à moi.»

Elle aurait pu rencontrer cette Jasmine. Elle n'a pas osé. Par pudeur. Elle l'a donc recomposée, en bouchant elle-même les trous de son histoire, et en greffant autour d'elle tous les personnages rencontrés lors de ses séjours. Avec Le chant des os, mis en scène par Anne-Marie Olivier, elle ne souhaite pas seulement raconter un peuple de bâtisseurs, mais inscrire dans notre mémoire ces trajectoires humaines.

_________________________________________________

Le chant des os, du 7 au 9 février au Studio-Théâtre de la Place des Arts.