C'est du théâtre pour les «18 ans et plus». Avec des scènes de sexe explicites. Bref, pas le genre de spectacle à voir en famille. Mais pour le metteur en scène japonais de 35 ans Daisuke Miura, ce n'est pas de la provocation. Plutôt de l'hyperréalisme qui montre la vie vécue dans l'instant présent, mais aussi dans un vide abyssal.

Sa pièce sans paroles Yume no shiro (Château de rêves) met en scène l'homme et la femme des petits appétits, centrés sur le sexe. Animal. Sans morale. Sans dialogue ni tendresse ni sentiment amoureux. Et surtout, sans rêve (d'où l'ironie du titre).

Dans un tout petit appartement encombré de Tokyo, huit jeunes passent le temps, nonchalamment. Ils regardent la télé, jouent à des jeux vidéo, fument, mangent, dorment et baisent. C'est à peine s'ils se regardent ou s'ils se parlent. Les rapports intimes n'ont en fait rien d'intime ni de personnel. Tout est fait de façon mécanique, avec détachement. L'émotion ne passe qu'en coup de vent. Par l'intermédiaire d'un des personnages qui, à un moment, sanglote.

«Ils se contentent de satisfaire leurs besoins, a déjà dit Daisuke Miura dans une récente entrevue. L'homme en général s'élève au-dessus de cet état par la communication, il acquiert logique et raisonnement, mais eux restent dans cet état brut par refus de communiquer. J'ai intitulé la pièce Château de rêves pour donner à penser que, peut-être, ces gens qui refusent de communiquer sont plus heureux que nous.»

Pendant ce temps, nous, les spectateurs, sommes les témoins complices et silencieux de ce théâtre qui cause quand même intentionnellement des malaises. Graduellement, le metteur en scène espère que le public s'identifiera aux personnages. À cause des bribes d'information qu'il nous révèle sur eux. Nous avons posé quelques questions à Daisuke Miura. Il nous a répondu par courriel.

Q: Qu'est-ce qui vous a motivé à créer Yume no shiro? Comment le public a-t-il réagi lors de la création?

R: La première motivation m'est venue à travers mes activités comme metteur en scène. Je me disais un beau jour: ne serait-il pas plus efficace de communiquer avec le public par l'entremise du non-dit, c'est-à-dire par l'«atmosphère»? Il faut admettre qu'à maintes reprises, je ressentais la limite des paroles. J'ai donc essayé, avec cette oeuvre «muette», de décrire des scènes des jeunes d'aujourd'hui. Comme prévu, la première réaction du public était partagée. Bon nombre d'entre eux se sont sentis mal à l'aise, par l'absence de parole.

Q: Est-ce qu'on peut qualifier votre théâtre de «théâtre-réalité»?

R: Pas nécessairement. C'est drôle de dire ainsi, mais je veux que l'inconsistance et l'incohérence soient aussi ma marque de commerce. Par exemple, vous remarquerez que j'ai déjà proposé une pièce du type «documentaire», dans laquelle les acteurs montaient sur scène et partageaient leurs expériences personnelles. Pour chaque pièce, j'aimerais essayer quelque chose de nouveau, même si je n'oublierai jamais le mot «réalité» comme référence de base.

Q: Qu'avez-vous voulu montrer dans Yume no shiro? Le vide de la jeunesse d'aujourd'hui? La banalisation du sexe? La difficulté de communiquer?

R: Vos réponses sont correctes, sauf la deuxième, car le sens du sexe dans cette pièce est plutôt le contraire. Je n'y présente pas l'aspect sexuel d'une façon négative. Il s'agit de l'instinct «animal», mais si fondamental pour l'humanité.

Q: Est-ce que vous vous percevez comme un pessimiste?

R: Une question difficile à répondre. J'ose vous répondre que non. Les sociétés contemporaines, dont la nôtre, traversent des problèmes assez profonds et variés. Cependant, une crise ne constitue-t-elle pas en même temps une chance? Je crois qu'une telle situation de prime abord alarmante est propice à créer des aspects culturels tant novateurs qu'originaux, et le théâtre où j'oeuvre ne devrait pas en être exclu.

Q: Après avoir mené un projet aussi provocateur que celui-là, sur quoi allez-vous travailler après?

R: Vous dites «provocateur»? Je n'en suis pas sûr. Dans le fond, je présente cette pièce sans y porter de jugement. Il appartient plutôt à chaque personne qui y assiste de l'interpréter, positivement ou négativement, à leur guise. Pour ce qui est de mon prochain projet, il n'est pas encore très bien esquissé. Mais je pourrais vous affirmer ceci: je continuerai à vivre dans le monde d'aujourd'hui, et je m'inspirerai de ce dernier pour créer ma prochaine pièce. Une pièce qui ne reflète pas la vie quotidienne ne m'intéresse pas et je suis d'avis que ce n'est pas non plus le rôle des metteurs en scène de créer de telles pièces.

Du 8 au 11 juin au Théâtre Prospero. 18 ans et plus.