Transposer sur scène une situation aussi délicate que l'occupation des territoires palestiniens par Israël, c'est s'aventurer en terrain miné. Après une demi-douzaine de séjours dans la région du Levant, le globe-trotter, auteur et comédien québécois Philippe Ducros a pris le risque de montrer ce conflit apparemment inextricable de l'intérieur avec sa pièce L'affiche.

Le point de départ de l'histoire est simple: un jeune homme palestinien est tué par un soldat israélien. Salem n'est, en apparence, qu'une victime de plus. Sauf que pour sa famille comme pour le soldat qui a tiré, c'est la goutte qui fait déborder le vase de la douleur, de l'indignation et de la révolte.

À son arrivée, le spectateur est d'abord invité à jeter un oeil à des photos prises par Philippe Ducros lors de ses séjours: édifices ravagés, champs d'oliviers rasés, colonies juives barricadées et ce rempart d'une hauteur inimaginable qui enferme les Palestiniens. Des images qui contribuent à planter le décor dans la tête du spectateur.

Le spectacle, lui, se déroule sur un plateau presque vide, dominé avec à-propos par le mur de béton du théâtre lui-même. Dans une enfilade de courtes scènes qui évoque le cinéma, l'aire de jeu devient tour à tour le salon d'un barbier musulman, une synagogue, un check point, une prison militaire, une morgue, etc.

L'intérêt de la démarche de Philippe Ducros tient d'abord à son désir de montrer les réactions de la mort de Salem des deux côtés du mur. Des réactions à la fois opposées et semblables, d'ailleurs: Salem père (Denis Gravereaux) et le soldat Itzhak (François Bernier) se révoltent contre l'idéologie des leurs, alors que la soeur du défunt (Sylvie De Morais) et la femme du tireur (Marie-Laurence Moreau) l'embrasseront jusqu'à verser dans l'extrémisme.

L'affiche met habilement au jour les mécanismes de deux systèmes d'endoctrinement religieux, ainsi que la haine et l'immense détresse qui habitent les deux camps. Sa mise en scène habile et inspirée multiplie les effets miroirs, une approche dont le symbole le plus révélateur est la décision de demander à un seul comédien, l'excellent Michel Mongeau en l'occurrence, d'incarner le barbier islamiste... et le rabbin orthodoxe.

Le seul élément qui clochait, le soir de la première représentation, c'était l'émotion. Plusieurs acteurs ont amorcé la pièce en faisant preuve d'une telle intensité qu'ils n'arrivaient plus à surpasser dans les moments critiques. La fin du spectacle en a d'ailleurs fait la démonstration éloquente: la scène finale est tombée à plat.

La nervosité de la première a-t-elle joué un rôle dans ces interprétations extrêmes? Si c'est le cas, le jeu se corrigera de lui-même et retrouvera des tonalités plus nuancées. Si c'est un choix du metteur en scène, c'est une erreur. Constamment bousculé par des cris de rage, le spectateur devient vite saturé... et insensible.

Philippe Ducros remporte néanmoins son pari de faire vivre ce lointain conflit et de le sortir de l'abstraction. Il se révèle par ailleurs particulièrement dans les tableaux collectifs, des scènes d'émeutes ou de cauchemars qu'on n'oubliera pas de sitôt. Du théâtre qui marque.

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L'AFFICHE, texte et mise en scène de Philippe Ducros. Jusqu'au 19 décembre à Espace Libre.