Qu'arrive-t-il lorsqu'un auteur féru de cinéma s'adonne au théâtre? Il écrit No Way, Veronica, une pièce aussi ambitieuse qu'une superproduction hollywoodienne. Tout un casse-tête, que le metteur en scène et musicien français Jean Boillot a résolu en mettant au point un «théâtre sonique», qui fait voir... par les oreilles!

Difficile d'éviter l'impression de déjà-vu qui se dégage de la lecture du synopsis de No Way, Veronica. Son histoire de scientifiques isolés dans une station météorologique plantée sur une île subantarctique et aux prises avec les tentatives d'infiltration répétées d'un extraterrestre évoque immanquablement The Thing, de John Carpenter.

 

Ce n'est pas un hasard. Armando Llamas, dramaturge d'origine espagnole qui a grandi en Argentine avant de s'installer à Paris, où il est mort du sida en 2003, était un «grand cinéphile», selon le metteur en scène Jean Boillot. Son dada, c'était de prendre des scénarios existants et de les dénaturer. «Il construit à partir de flashes, de moments d'intensité qu'il a gardés en mémoire: des gestes, des images, des corps, et il met ça bout à bout», expose-t-il.

De The Thing, il a gardé la station polaire et l'idée de l'extraterrestre... qu'il tourne en dérision. Ses «scientifiques» ressemblent curieusement à des acteurs de cinéma (Peter Falk, James Mason, Laurel et Hardy), alors que la bibite qui cherche à s'introduire parmi les hommes est une «vamp nymphomane» inspirée de Gina Lollobrigida. D'où le sous-titre, «comédie misogyne», que l'auteur a accolé à sa pièce.

Armando Llamas place les metteurs en scène dans une situation impossible. «Les didascalies sont très importantes et demandent des moyens hollywoodiens», explique Jean Boillot. En plus de planter le décor dans un cadre difficile à reproduire sur scène, l'auteur réclame notamment - et ce n'est qu'un exemple - l'intervention d'un hélicoptère! Comment faire entrer une station polaire et un hélicoptère dans un théâtre? Jean Boillot a trouvé la réponse: en ne les montrant pas. Du moins, en ne les donnant pas à voir avec les yeux, mais à l'aide de sons.

No Way, Veronica repose sur les épaules de trois acteurs: Katia Lewkowicz (qui joue tous les personnages, en imitant entre autres les voix de ces acteurs connus), Philippe Larbaud et Jean-Christophe Quenon, deux comédiens musiciens. Trois micros, des instruments de musique et des machines capables d'en faire, le dispositif scénique s'apparente à celui d'un concert rock.

On pourrait parler de «théâtre musical», si cette dénomination ne prêtait pas à une confusion presque certaine avec la comédie musicale. L'approche privilégiée est cependant plus radicale. Le boulot de l'un des musiciens est de porter les didascalies à la manière d'une voix off très basse «comme on en entend dans les bandes-annonces». L'autre plante le décor à coup d'échantillonnages, de boucles rythmiques et d'effets vocaux. «Le son fait office de scénographie», dit Jean Boillot, qui parle même de «sonographie».

«Ça part d'un théâtre très enfantin - l'imitation des vedettes - qui est finalement mis au service d'un théâtre beaucoup plus complexe», poursuit-il. Il croit que cette approche «sonique» du théâtre a un «grand devenir» et essaie lui-même de la développer en abordant des textes qu'il qualifie de «plus évolués». Shakespeare, notamment. Le metteur en scène assume toutefois le côté loufoque, dérisoire et «potache» de No Way, Veronica, projet qui lui a permis de défricher cette voie. «Au début, c'était pour déconner...»

No Way, Veronica, du 13 au 17 octobre à La Chapelle.