Une comédie légère axée sur un personnage féminin fort, mais quand même pas sans défauts, où le mâle - même beau, intelligent et attirant - passe parfois pour insensible et parfois pour un plouc? Tiens, on dirait les grandes lignes d'un film de filles. Ou de Beaucoup de bruit pour rien, comédie de Shakespeare que René Richard Cyr a visiblement mis en scène en pensant à ces superproductions hollywoodiennes que les filles... et les gars (si, si!) regardent pour se faire plaisir.

Si on pense à ces films populaires, c'est d'abord en raison du synopsis de la comédie. De retour de guerre, en un seul morceau et couverts d'honneurs, Bénédict (David Savard) et Claudio (Maxim Gaudette) font partie d'un groupe de soldats qui s'arrête chez Leonato (Robert Lalonde). On devine que le premier n'est pas insensible à Béatrice (Macha Limonchik), avec qui il entretient une plaisante guéguerre verbale, alors que le second affiche très vite l'affection qu'il se découvre pour Hero (Sophie Desmarais).

L'amour triomphera, on n'en doute pas une seconde, mais pas avant d'avoir été mis en péril par des forces extérieures. Ici, c'est la jalousie du vilain Juan (Vincent-Guillaume Otis) qui viendra contrarier l'idylle naissante de Claudio et Hero, puis contaminer celle de Bénédict et Béatrice. Les enjeux sont toutefois autrement plus sérieux que dans Sex & the City puisque c'est de la pureté de l'une et de l'honneur de l'autre qu'il est question.

René Richard Cyr ne donne pas dans la demi-mesure et assume pleinement son désir de faire de ce Shakespeare un grand moment de légèreté. Optant pour un jeu expansif souligné par les mimiques et la gestuelle, il a incité ses acteurs à embrasser tout avec passion, le drame comme la drôlerie. Et s'il dit avoir «gommé la plupart des bouffonneries» (en plus d'éliminer des scènes et des personnages), il n'a rien contre l'humour appuyé. On craint même, à certains moments, que le tout vire à la farce.

Or, si les comédiens s'en approchent, il ne franchissent pas cette frontière, si bien que, lorsque Claudio rejette violemment Hero et plonge la pièce dans le drame, le changement de cap est réussi. En quelques scènes, la pièce passe abruptement d'un ton plaisant au plus grand sérieux sans miner la crédibilité du spectacle.

David Savard brille tout particulièrement dans cette approche presque caricaturale. Il fonce et livre un Bénédict attachant. Sympathique en gentilhomme à l'esprit bien tourné, il devient franchement désopilant lorsque, ramolli par l'amour, il troque ses manières de mâle pour des gestes de jeune fille.

Macha Limonchik, autre point focal de la distribution, n'en prend pas ombrage. Sa Béatrice, mi-romantique mi chipie, s'impose par ses mimiques et ses phrases assassines. Elle s'illustre notamment dans cette joute oratoire à la fois élégante et corsée qu'elle livre à Bénédict pendant toute la durée de la pièce. La surprenante modernité de son personnage s'affirme lors de ces échanges où elle a toujours le dernier mot.

L'approche ludique de René Richard Cyr se manifeste dans une foule d'autres heureux choix de mise en scène, dont cette transposition de l'action dans un verger, que les comédiens garnissent tour à tour d'animaux empaillés (!), de feuilles, de fleurs et de pommes. Charmante illustration des «saisons» de l'amour, puisqu'on ne doit en cueillir le fruit que lorsqu'il est mûr. Ce décor est par ailleurs bellement éclairé par Martin Labrecque, dont les scènes nocturnes sont particulièrement réussies.

Beaucoup de bruit pour rien s'achève dans les effusions de joies attendues depuis le début et sur un numéro musical hilarant qui fait un clin d'oeil aux partys de mariage de notre époque. À moins que ce ne soit une référence au cinéma hollywoodien. Quoi qu'il en soit, c'est un grand bonheur!

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Beaucoup de bruit pour rien. Au Théâtre du Nouveau Monde (TNM) jusqu'au 24 octobre.