Il n’aura pas été une étoile filante, mais il s’est éteint bien jeune : Karl Tremblay, le chanteur du groupe Les Cowboys Fringants, est mort des suites d’un cancer de la prostate qui le minait depuis des années. Et c’est tout notre coin de l’Amérique qui le pleure.

« C’est avec une tristesse indescriptible que nous vous annonçons le départ de Karl. Il a été un guerrier exemplaire devant la maladie et un modèle pour nous tous. Nous voulons remercier tous ceux et celles qui nous ont témoigné leur amour durant les dernières années, nous avons été portés par votre soutien », ont écrit Marie-Annick, Jean-François et Jérôme sur Instagram, mercredi.

« Le grand Karl Tremblay des Cowboys Fringants nous a quitté aujourd’hui. Un homme intègre, généreux, fidèle. Merci de respecter l’intimité de la famille et des proches », a aussi écrit La Tribu, collaboratrice du groupe pour ses disques et ses spectacles depuis plus de 20 ans.

La maladie qui a emporté le chanteur était connue et suscitait l’inquiétude depuis longtemps. Karl Tremblay a reçu un diagnostic de cancer de la prostate juste avant la pandémie, en janvier 2020. Il a annoncé la nouvelle deux ans plus tard, à l’été 2022, lorsqu’il a entrepris des traitements de chimiothérapie. Qui n’ont pas donné les résultats espérés.

Sa conjointe, Marie-Annick Lépine, aussi membre des Cowboys Fringants et avec qui il a eu deux enfants, avait annoncé en mars 2023 que les traitements ne fonctionnaient plus et qu’il devait en commencer un autre peu après.

En août de la même année, au milieu d’une tournée de festivals, elle a écrit qu’il ne restait plus que « l’espoir qu’un traitement fonctionne et puisse donner du temps et une belle qualité de vie à [s]on amoureux ».

La série de spectacles de l’été 2023 a été particulièrement émotive. En juillet, le Festival d’été de Québec a été allongé d’une journée afin de permettre aux Cowboys Fringants de se produire sur les plaines d’Abraham.

Le mauvais temps avait forcé l’annulation de leur spectacle prévu quelques jours plus tôt. Le 17 juillet, Karl Tremblay a chanté devant environ 90 000 personnes. Affaibli par les traitements, il avait dû s’asseoir au moment de chanter Sur mon épaule, que la foule a entonnée avec lui.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

Marie-Annick Lépine et Karl Tremblay sur scène au Festival d’été de Québec, le 17 juillet dernier. Ils formaient un couple depuis de nombreuses années et sont les parents de deux jeunes filles.

Quelques semaines plus tard, à Saint-Jean-sur-Richelieu, le groupe s’était adapté. Plutôt que de laisser le chanteur s’asseoir seul, ce qui soulignait son état de santé, Marie-Annick Lépine, Jean-François Pauzé et Jérôme Dupras se sont aussi déposés sur une chaise au milieu du concert. Un symbole fort de leur solidarité dans l’adversité, que Karl Tremblay a toutefois tenu à alléger. « Vous êtes venus nous entendre chanter, pas pour nous voir danser », a-t-il lancé à la foule. Ensemble, ils avaient sans doute moins peur.

Karl Tremblay, très discret sur les réseaux sociaux, a pris la parole à la fin du mois de septembre, lorsque son groupe a annoncé l’annulation de tous leurs spectacles de l’automne. « J’ai décidé de vous écouter, de m’écouter, pis de prendre un break », disait-il, annonçant vouloir se concentrer sur ses traitements et sa remise en forme. Début novembre, Louis-José Houde a eu la délicatesse de le saluer dans son numéro d’ouverture du dernier gala de l’ADISQ. « Je dédie cette soirée à Karl Tremblay des Cowboys Fringants, qui a soulevé 90 000 personnes au bout de sa santé sur les plaines d’Abraham l’été dernier », a-t-il dit, soulignant l’esprit « fier, digne et festif » du groupe.

Les deux ont fait la paire

Karl Tremblay est né le 28 octobre 1976. Il s’est lié d’amitié avec Jean-François Pauzé à l’âge de 18 ans, après avoir fait sa connaissance dans une équipe de hockey – les Jets de Repentigny, selon la biographie officielle du groupe. Le tandem a écrit sa première chanson (Les routes du bonheur) durant l’hiver 1995, c’est-à-dire quelques mois avant l’échec référendaire qui sera la toile de fond des premières années du groupe. Jean-François Pauzé écrit surtout des chansons à personnages ironiques et des hymnes pour lever le coude, que Karl porte avec bagout et bonhomie.

Extrait des Routes du bonheur
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Lisez « Karl Tremblay en quelques dates »

Les Cowboys Fringants, complétés par Marie-Annick Lépine (violon, mandoline, accordéon, etc.), Jérôme Dupras (basse et pitreries) et Dominique Lebeau (parti en 2007), ne perdront pas de temps : entre 1997 et 2000, le groupe publie trois albums à petit budget (12 grandes chansons, Sur mon canapé et Motel Capri). Sa renommée grandit considérablement au tournant du millénaire à la faveur de sa participation au concours les Francouvertes et de l’appui de COOL FM, antenne aujourd’hui disparue qui se faisait un point d’honneur de faire jouer des artistes que les autres radios boudaient.

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Karl Tremblay et Jean-François Pauzé, ici à La Tulipe en février 2005, formaient un tandem soudé. En arrière-plan, le bassiste Jérôme Dupras.

Karl Tremblay a signé quelques rares textes au fil des ans, mais s’est imposé dès le début comme l’alter ego de Jean-François Pauzé. Il était l’homme de la situation pour porter les chansons niaises des débuts.

En plus d’avoir un savoureux sens de la répartie sur scène, il s’est révélé être une âme sensible capable d’incarner autant l’indignation que la compassion et la tendresse qui viendront étoffer les textes de plus en plus riches de son ami.

Le chanteur cultivera longtemps son image débonnaire. En décembre 2002, alors que Les Cowboys Fringants s’apprêtaient à conclure une insolite « tournée montréalaise », Karl Tremblay avait une « théorie » (il en avait sur tout, à cette époque) pour expliquer le succès du groupe. « Les gens s’identifient à nous et chantent les paroles de nos chansons parce qu’ils se disent tous que le groupe marcherait mieux s’ils étaient à ma place, expliquait-il à La Presse. Ils trouvent qu’ils ont tous une meilleure voix que moi. »

Une dualité

Ce n’est que des années plus tard, à partir de L’expédition, qu’il commencera à assumer la maturité qu’il avait prise comme interprète. « C’est vrai que ma voix est plus douce, pour respecter la nature des chansons, admet-il, à l’automne 2008. Et puis, après 12 ans de tournées, ça serait triste qu’elle ne prenne pas une coche de plus ! » Il ajoutait que sur L’expédition, c’est Karl qui chantait, alors que sur les airs loufoques de l’album Sur un air de déjà vu, paru au même moment, c’était « le cave » qui chantait.

Extrait de L’expédition
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PHOTO ANDRÉ TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Meneur de foule exceptionnel, Karl Tremblay avait quelque chose du bouffon sensible. Sur scène au Grand Théâtre de Québec en 2006.

La dualité qu’évoquait le chanteur, il ne se gênait pas pour l’incarner. Grand meneur de foule, adepte de l’autodérision, il savait taquiner son public, le faire danser et sautiller. Il savait aussi l’émouvoir. Derrière son personnage de scène, on a vite deviné l’homme au grand cœur. Il en fallait pour trouver le ton juste sur Toune d’automne, le premier grand succès du groupe, dont le texte balance entre tendresse, confession et gentille moquerie. Il faudra davantage de finesse encore pour porter des morceaux comme Sur mon épaule et L’Amérique pleure, que le Québec entier a adoptés.

Extrait de Toune d’automne
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Ces derniers mois, en raison de l’état de santé du chanteur et du calendrier de traitement qu’il devait suivre, Les Cowboys Fringants ont dû annuler quelques spectacles. Et lorsque le groupe montait sur scène, il était impossible d’ignorer les nombreuses chansons, même anciennes, où Jean-François Pauzé évoquait la mort qui rôde et la nécessité de profiter de la vie, même si elle n’est pas toujours facile.

Ces textes prenaient une résonance nouvelle en raison de la maladie du chanteur, qui les portait néanmoins avec une apparente sérénité et, tous ceux qui l’ont vu sur scène le savent, bien du courage. Avec un air de défi, aussi, comme si chanter qu’il « s’accroche les pieds ici-bas » malgré la mort « qui tôt ou tard nous fauchera » était une façon de narguer le destin. Les Cowboys ont gagné en maturité au fil des décennies, mais ils n’ont jamais cessé d’être un peu baveux. C’est dans leur ADN et ç’a toujours été une bonne raison de les aimer.

Un double deuil ?

PHOTO ANDRÉ TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Karl Tremblay lors d’un test de son au Grand Théâtre de Québec en décembre 2006

Avec la disparition de Karl Tremblay, l’avenir des Cowboys Fringants est plus qu’incertain. Ce qui ajoutera au deuil de milliers de Québécois qui, en plus de perdre un artiste en qui ils se reconnaissaient et à qui ils n’ont cessé de témoigner leur affection, risquent fort de perdre aussi le groupe qui les accompagne depuis plus de 25 ans.

Le vide ne sera pas possible à combler : aucun autre artiste ou groupe d’ici n’a su raconter les aspirations et les déceptions du Québec d’aujourd’hui comme Les Cowboys Fringants. Ni trouver un équilibre aussi touchant entre le politique et le comique, entre le théâtre et l’authenticité, entre le désenchantement et l’espoir que la vie ait un sens. Ou que l’amour lui en donne un.

Quelques extraits

En berne

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Les Étoiles filantes

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Plus rien

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