Les esprits se sont échauffés jeudi dans une audience pour réclamer la libération de trois trafiquants d’un énorme réseau de production. Estimant avoir été traité « d’incompétent » par le juge, l’avocat de la défense a réclamé la récusation du juge. Un accusé a aussi vociféré en salle d’audience.

Les échanges ont été particulièrement tendus jeudi entre le juge André Vincent de la Cour supérieure et MSamuel Cozak jeudi au palais de justice de Saint-Jérôme. La défense plaidait que les trois accusés étaient détenus « illégalement ». Le juge a refusé de les remettre en liberté.

Pendant sa plaidoirie, MCozak a semblé sous-entendre que la Couronne avait extorqué un plaidoyer de culpabilité aux accusés en échange de leur libération pendant le processus. Cette allégation a mené à un vif échange avec le juge.

« Voyons donc ! Est-ce qu’un officier de justice va participer à un faux plaidoyer de culpabilité ? », a lancé le juge.

« Peut-être en n’étant pas conscient », a alors dit MCozak.

« Peut-être que vous le feriez. Mais sûrement pas un avocat compétent », a asséné le juge.

Ce commentaire du juge Vincent a particulièrement courroucé l’avocat de la défense qui a plus tard réclamé la récusation du juge – c’est-à-dire son retrait du dossier.

« Me faire qualifier d’avocat incompétent gratuitement. C’est un commentaire complètement inacceptable. Me faire attaquer personnellement parce que je présente d’arguments structurés », s’est insurgé MCozak.

« C’est un lapsus, et ça a peut-être dépassé ma pensée. Si vous avez compris que je vous traitais d’incompétent, je retire mes paroles », a conclu le juge Vincent, en rejetant la requête en récusation.

Des millions de doses de GHB

Pour mieux comprendre cette affaire, il faut remonter à novembre dernier. Sébastien Turcotte, Éric Matte et Jean-Philippe Robitaille ont alors reconnu leur culpabilité en lien avec la production et la distribution de GHB. Leur laboratoire de Terrebonne pouvait produire des millions de doses de cette « drogue du viol ». Les trois hommes devaient écoper de peines de cinq à sept ans en vertu d’une suggestion commune. Ils étaient alors en liberté.

Or, le matin où ils devaient amorcer leurs peines, les trafiquants ont congédié leurs avocats et ont demandé le retrait de leur plaidoyer de culpabilité. Le juge François Landry a alors décidé de retirer leur cautionnement et de les détenir jusqu’à nouvel ordre.

Au grand dam de leurs nouveaux avocats qui se sont tournés jeudi devant la Cour supérieure pour plaider une requête pour détention illégale (habeas corpus). Essentiellement, les avocats soutiennent que leurs clients devraient être libérés, puisque le juge François Landry de la Cour du Québec n’avait pas compétence pour ordonner leur détention.

« Le juge ne pouvait pas se saisir. Les clients étaient non représentés. Le juge n’a pas rendu de motif et n’a pas permis à ces gens de s’exprimer. C’est la Sainte Trinité des violations constitutionnelles. C’est une violation de A à Z », a plaidé MCozak, l’un des trois avocats de la défense.

Des arguments aussitôt rejetés par le juge Vincent. À ses yeux, le juge Landry avait le pouvoir d’ordonner l’incarcération puisqu’il était chargé de la détermination de la peine. De plus, il a simplement remis le dossier dans l’état où il était avant l’entente entre les parties. Les accusés étaient alors détenus.

« On renie sa parole, ça semble un motif assez justifiable. Renier sa parole ! Le Tribunal doit être conscient des manœuvres dilatoires qui sont faites », a ajouté le juge Vincent.

« C’est illégal, c’est écrit noir sur blanc », a renchéri MCozak.

« Je considère qu’il y a détournement des fins de justice dans la participation qui est faite. Les parties s’entendent, changent d’avocats et après présentent des demandes absolument illogiques », a répliqué le juge Vincent.

Le dossier est loin d’être terminé. La requête en retrait de plaidoyer de culpabilité de la défense sera entendue par un juge de la Cour du Québec mardi prochain. Le juge François Landry s’est récusé du dossier à la mi-février puisqu’il avait participé au processus de facilitation entre les parties.

Essentiellement, les nouveaux avocats de la défense prétendent que la Couronne n’a pas dévoilé toute la preuve. « On a un rapport d’un expert de l’Université du Québec à Chicoutimi qui nous dit qu’il n’y a pas de GHB », a indiqué MCozak jeudi.

L’un des accusés a reproché jeudi à la Couronne d’avoir caché une preuve « disculpatoire ». « Je trouve ça difficile d’entendre qu’on n’est pas des gens de paroles. Ce n’est pas qu’on n’a pas de paroles, c’est qu’on sait qu’on est en train de se faire passer un sapin entre les deux pattes ! », a affirmé Jean-Philippe Robitaille depuis le box de accusés.

M. Robitaille s’est ensuite emporté en criant des reproches au procureur de la Couronne MSteve Baribeau. « Honte à vous ! », a-t-il vociféré.

Par ailleurs, une juge de la Cour supérieure a récemment rejeté dans un jugement de 221 pages une poursuite de 22,3 millions de dollars intentée par Samuel Cozak et trois membres de sa famille contre l’État québécois.

Dans cette affaire surnommée le « procès Breaking Bad » par les médias de Québec, Samuel Cozak, son frère et son père chimiste avaient obtenu un arrêt des procédures en raison de l’arrêt Jordan en 2017. Depuis, MSamuel Cozak a joint le Barreau en 2022.