Il faut marcher droit devant, chante Karl Tremblay, et c’est ce que les Cowboys Fringants font cet été, malgré l’incertitude, malgré l’inquiétude qui grandit, malgré les spectacles annulés. Ils ne sont pas seuls à se tenir debout : des milliers et des milliers de personnes étaient venues les entendre – les soutenir aussi – jeudi à l’International de montgolfières de Saint-Jean-sur-Richelieu.

Plus jeunes, les Cowboys Fringants étaient joyeusement baveux. Ils ne se sont pas tellement assagis avec les années, même s’ils ont gagné en nuance. Il reste qu’il faut avoir du front pour lancer un concert avec Ici-bas, morceau où Karl Tremblay chante que malgré la mort qui « tôt ou tard nous fauchera », il « s’accroche les pieds ici-bas », alors que chacun sait combien son état de santé est préoccupant.

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Marie-Annick Lépine, des Cowboys Fringants

Son amoureuse, Marie-Annick Lépine, l’a souligné mardi sur Facebook. En s’excusant pour les quelques concerts annulés pour permettre au chanteur de suivre ses traitements contre le cancer, elle a dit combien la situation était difficile. « L’espoir est la seule chose qu’il nous reste, a-t-elle écrit. L’espoir qu’un traitement fonctionne et puisse donner du temps et une belle qualité de vie à mon amoureux. »

Karl Tremblay, on le voit et on le sent sur scène, a le soutien plein et entier de son groupe. On voit Jean-François Pauzé, Jérôme Dupras, Marie-Annick Lépine et leurs accompagnateurs redoubler d’efforts pour compenser l’énergie que leur vaillant chanteur n’a pas en ce moment.

On comprend qu’ils s’adaptent tous au jour le jour. En milieu de concert, ils se sont assis tous les quatre sur scène, solidaires, pour qu’il repose « ses vieilles jambes ».

« Vous êtes venus pour nous entendre chanter, pas pour nous voir danser », a justifié Karl Tremblay, annonçant que le groupe allait en profiter pour jouer des vieilles tounes. Les Cowboys ont joué Toune d’automne – à la demande d’un fan, semble-t-il. Puis, Léopold, chanson rarement jouée. On s’en doutait, mais c’est aussi à ce moment que le groupe a chanté Sur mon épaule, que l’immense foule a entonnée avec émotion. Et quand le chanteur a hurlé « ensemble, on n’a peur de rien », il a été applaudi à tout rompre.

Grandeur ordinaire

Les Cowboys Fringants répètent combien ils sont reconnaissants de se produire devant de telles foules après 25 ans de musique. Ils ont raison : ce qu’ils vivent est exceptionnel, car ce qu’ils ont bâti l’est aussi. Aucun groupe n’a marqué l’histoire de la chanson au Québec comme la bande de Repentigny. On pourrait aligner des tonnes de chiffres pour le prouver. Ce serait convaincant, mais ce serait aussi passer à côté de l’essentiel.

L’essentiel, c’est ce qu’on a encore vu jeudi à Saint-Jean-sur-Richelieu : un groupe qui sait parler à son peuple. Qui a su trouver, album après album, une façon à la fois directe et poétique d’évoquer ses bonheurs et ses petites misères, ses travers et sa grandeur ordinaire, ses aspirations et ses inquiétudes. Dans des mots choisis par Jean-François Pauzé, un des rares auteurs de chansons qui regarde ce qui se passe autour de lui et pas seulement en lui, puis incarnés par son compagnon du premier jour, Karl Tremblay.

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Karl Tremblay et Jean-François Pauzé

Des chansons où chacun se reconnaît soi-même et reconnaît ses voisins. Où l’humour cherche parfois à désamorcer le désespoir. Où les constats durs se diluent dans le déni, parce qu’il faut tout de même se lever demain et continuer son bout de chemin. Où le regard posé sur le monde n’est jamais complaisant, mais souvent plein d’empathie. Un équilibre rare, une façon de se garder la tête dans le cœur.

Et les Cowboys Fringants font ça tout en gardant le sens de la fête. Ça veut dire déconner au point d’assumer ses chansons de jeunesse un peu niaises et aussi de reprendre un bout de Metallica si ça lui chante.

Quelques jours après le passage des géants du métal au Stade olympique, Karl Tremblay et les autres ont en effet entonné un bout de la chanson Enter Sandman, encore une fois accompagnés par la foule. L’atmosphère était particulièrement à la fête au moment de Tant qu’il y aura de l’amour où des enfants – ceux des membres du groupe, devine-t-on – les ont rejoints sur scène.

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Jean-François Pauzé et Jérôme Dupras

Oui, les temps sont durs pour les Cowboys Fringants. Oui, l’assistance en était bien consciente jeudi. Oui, une bonne partie du Québec s’inquiète pour le grand gaillard qui les fait chanter, rire et pleurer depuis 25 ans. Karl Tremblay, lui, garde la tête haute, sourit et continue de nourrir l’espoir. Le sien et celui de milliers de gens.

L’immense fête entre amis s’est conclue par Les étoiles filantes, chanson qui rappelle, si besoin était, que les Cowboys sont éternels.