Parmi les auteurs turcs traduits dans le monde entier, on connaît surtout Orhan Pamuk ou encore Ahmet Altan. Hakan Günday fait partie de la nouvelle génération d’écrivains turcs à lire, née 25 ans plus tard et élevée au beau milieu des bouleversements sociaux et géopolitiques qui ont affecté cette région du monde coincée entre l’Europe et l’Asie.

Un auteur qui s’abreuve du contexte enflammé de la région pour nourrir son œuvre, qu’on avait découverte avec le bouleversant Encore, sur une famille de passeurs de migrants clandestins, récompensé par le prestigieux prix Médicis étranger en 2015.

Zamir est son cinquième roman traduit en français. Le personnage qui a donné son prénom au titre vient de naître lorsqu’il est abandonné par sa mère dans un camp de réfugiés à la frontière turco-syrienne. Abandonné dans l’espoir que les rêves impossibles de cette adolescente, née dans le village le plus pauvre de Turquie et mariée de force, se réalisent un jour pour son enfant. Mais une explosion défigure le bébé, qui survit envers et contre tout.

Le roman raconte en alternance l’enfance de Zamir, élevé par l’organisation caritative qui gère le camp de réfugiés et qui en fait sans vergogne le visage de ses campagnes de financement, et l’adulte qu’il est devenu – un vendeur de paix qui sillonne le monde pour tenter de convaincre les hauts dirigeants et les pires dictateurs d’éviter la guerre à tout prix.

D’emblée, il faut savoir que Zamir est un roman exigeant. D’abord parce qu’il sollicite toute notre attention en nous faisant voyager à la vitesse de la lumière d’un coin de la planète à un autre, multipliant les références politiques et historiques.

C’est un roman oppressant, également, en raison de la lourdeur du sujet et des horreurs qu’il raconte. « Car dans ce monde tout était possible », écrit Hakan Günday.

Comme dans Encore, l’écrivain ne cherche à ménager les sensibilités de personne. Le roman se déroule dans un futur indéfini, mais tout ce qu’il raconte est arrivé d’une manière ou d’une autre – ou pourrait arriver. La résurgence des nationalismes d’extrême droite. Les actes ignobles commis par des militaires lors de conflits armés. Ou encore les horribles machinations orchestrées par des organismes dans le seul but d’amasser des fonds.

Zamir est à la fois une critique vitriolique des organisations caritatives – dont il dénonce l’hypocrisie et la corruption – et une diatribe contre la diplomatie internationale ; car pour arriver à écarter les volontés guerrières des dirigeants les plus influents du monde, le protagoniste doit se soumettre aux mêmes vilenies. C’est un roman dur qui nous force à réfléchir avec une maestria impressionnante à ce que serait notre monde si, comme l’écrit l’auteur, Caïn n’avait pas tué Abel et que l’homme n’était pas, au fond, un enfant qui ne fait confiance qu’à ceux qui lui ressemblent.

Zamir

Zamir

Gallimard

432 pages

7/10