À Paris, sur un mur de l’hôpital de la Salpêtrière, une plaque commémore les Filles du Roy qui ont franchi l’Atlantique pour peupler la Nouvelle-France. Mais de ces femmes envoyées en Louisiane dans les années 1700, on ne trouve aucune mention.

Julia Malye étudiait en Oregon quand elle a commencé à effectuer des recherches sur La Nouvelle-Orléans, avec l’idée de se rendre en Louisiane avant de rentrer chez elle, en France. « C’est comme ça que je suis tombée sur l’histoire de ces femmes. Ce qui m’a vraiment marquée, c’est le fait qu’elles aient été complètement oubliées, que plus personne ne se souvienne d’elles – ni en France ni aux États-Unis. Et de voir, aussi, le peu de traces qu’on laisse en tant que femmes dans les archives », confie-t-elle de passage à Montréal, cette semaine, pour la sortie de son quatrième roman, La Louisiane.

La Louisiane raconte le destin de trois femmes enfermées à l’hôpital de la Salpêtrière, en 1720. Des femmes sans famille, qui ont commis un délit ou qui ont tout simplement été abandonnées à l’institut par leurs proches. Par un concours de circonstances, elles se retrouvent sur une liste de mères potentielles pour la colonie.

« Ce qui m’a intéressée, c’était ce statut de marginales qu’elles avaient. Qu’est-ce que ça voulait dire, être femme et marginale, à l’époque ? On ne voulait pas d’elles en France. Elles étaient envoyées comme des ventres pour donner des enfants à une colonie française qui était déjà placée sous le sceau de l’échec, parce que les diverses compagnies commerciales qui voulaient s’y implanter et faire commerce de ce qui se cultiverait là-bas se sont rendu compte qu’elles s’étaient plantées et que ça allait être invivable. »

L’espoir d’une nouvelle vie

Après une traversée en bateau épouvantable, ces jeunes femmes arrivent dans un territoire hostile et inconnu où elles seront bientôt toutes mariées. Malgré leur malchance dans la vie jusque-là, elles veulent croire à la possibilité d’un nouveau départ. Mais sur leur terre d’accueil, elles connaîtront de grands et de petits deuils, la famine, les ouragans, de même que la violence des combats entre les soldats français et les tribus autochtones.

Le défi, pour Julia Malye, a été de trouver suffisamment d’information pour faire en sorte qu’on réussisse à se sentir à leur côté – ce qu’elle parvient à accomplir avec une grande virtuosité.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Julia Malye

« C’était un jeu d’équilibriste entre trouver ce qui transforme le temps – que ce soit des détails sensoriels qui ont trait à la nature, les arbres, la végétation, l’air moite de la Louisiane – et les grandes questions qu’on se pose quand on parle de maternité, de perte, de sororité, d’amour, explique-t-elle. Qu’est-ce qui reste, en fait ? Qu’est-ce qui est spécifique à un temps, à une époque ? Et qu’est-ce qui, finalement, va faire que des lecteurs et lectrices, 300 ans plus tard, pourront toujours s’identifier à ces moments-là, tout en évitant de plaquer des valeurs du XXIe siècle sur une mentalité d’un autre temps ? »

Pour se documenter, la romancière a fouillé dans les collections historiques de La Nouvelle-Orléans, à l’Université Tulane ou encore au couvent des Ursulines. Elle a contacté des descendants de ces femmes, reconnaissants de l’attention portée à leurs aïeules. Elle est même allée jusqu’à rencontrer le chef de la nation natchez pour ces passages où elle met en scène une femme autochtone et a consulté une spécialiste de la culture yoruba pour créer les personnages des esclaves qui étaient au service des familles de colons français. Toujours dans l’optique de rester aussi fidèle que possible aux faits historiques.

L’histoire avec un grand H était une contrainte créative. Je trouve que c’est très dangereux de commencer à déplacer un évènement parce qu’un changement intentionnel va précipiter un fourmillement d’erreurs qu’on ne contrôlera plus du tout. Je voulais vraiment travailler avec un fond historique et des dates très claires, faire un maximum de recherches et passer par un travail d’archives, mais aussi aller sur le terrain.

Julia Malye

Fait inusité, l’écrivaine française, qui enseigne également l’écriture de fiction à Paris, a écrit La Louisiane en anglais d’abord, ce qui lui avait semblé naturel à l’époque puisqu’elle étudiait aux États-Unis. Puis elle a entrepris elle-même de le réécrire en français, ce qui a entraîné d’innombrables allers-retours et des modifications interminables entre une version et l’autre – un travail de moine qui lui a pris huit ans jusqu’à la publication du roman. « J’avais l’impression de jouer au jeu des sept différences », dit-elle en riant.

Son premier roman, La fiancée de Tocqueville, paru en 2010 – alors qu’elle avait 15 ans ! – était également un roman historique. « Les questions de la mémoire, de l’oubli, du temps sont des choses qui m’obsèdent et me fascinent. Et je pense que la possibilité en écriture de retourner à un moment qui est passé, c’est quelque chose qui est presque magique. C’est un des pouvoirs de l’écriture de voyager dans le temps. »

Mais après avoir passé pratiquement toute sa vingtaine au XVIIIe siècle, Julia Malye confie avoir envie de revenir à des questions contemporaines dans ses prochains écrits. « J’ai un autre projet de roman pour lequel j’attends un peu parce que pour le moment, c’est plutôt des textes courts que j’ai envie d’écrire ! »

La Louisiane

La Louisiane

Stock

558 pages