C’est un roman puissant que signe Lisa Moore avec Comment il faut aimer. Un roman sur la famille, sur l’amour inconditionnel – mais aussi sur celui que nous transmettons à ceux qui croisent notre chemin, envers et contre tout.

Un roman qui nous entraîne jusqu’à Terre-Neuve, au cœur de la plus violente tempête que l’île ait jamais connue et dans l’abîme d’une mère qui se retrouve au chevet de son fils, sauvagement battu. Un roman bouleversant et animé par une sincérité troublante qui rappelle un titre comme Pauvres petits chagrins, de Miriam Toews.

« Je voulais imaginer une famille qui ne soit pas le genre de famille typique hétéronormative, confie l’écrivaine terre-neuvienne, jointe à St. John’s. Je voulais dire que pour que nous aimions vraiment, nous devons aimer en dehors de notre cercle, de ce que nous considérons parfois comme la structure de la famille, c’est-à-dire ceux qui nous sont liés par le sang ou que nous épousons. »

Son personnage de Jules est le genre de mère que tout le monde rêverait d’avoir. Le genre de mère que l’autrice d’Alligator doit elle-même avoir été, devine-t-on en l’écoutant raconter que dans la maison du centre-ville de St. John’s où elle habite encore, les enfants du voisinage ont toujours pu entrer et sortir à leur guise. « Nous avons toujours eu beaucoup d’enfants du quartier qui couraient dans notre maison, et je voulais aimer tout le monde. Bien sûr, j’ai échoué, dit-elle en riant, mais c’était ce que je voulais. »

J’aime l’idée d’être ouverte au hasard, à ceux que le destin met sur notre chemin, de faire confiance tout simplement – même si c’est un peu ridicule de faire confiance à n’importe qui – et d’accepter d’aimer [ces personnes].

Lisa Moore

Aimer sans condition

Dès les premières lignes de Comment il faut aimer, Jules et son mari reçoivent un appel qui vient chambouler leurs vacances au Mexique. Leur fils Xavier se trouve à l’hôpital, dans un état critique. Jules prend le dernier vol pour retourner à St. John’s, tout juste avant la fermeture de l’aéroport à cause de la tempête du siècle – le « snowmageddon » de janvier 2020. La ville entière avait alors été confinée, comme un prélude à la pandémie qui devait frapper quelques semaines plus tard. « C’était assez dramatique, se souvient Lisa Moore. C’était étrange, tout était blanc et enterré. C’était la première fois que je voyais l’empreinte de la crise climatique de façon si réelle dans ma propre ville. »

Seule au chevet de son fils inconscient, l’hôpital refusant les visiteurs, Jules cherche à remonter « le fil du pourquoi » et « menotte le passé au présent », écrit Lisa Moore. Pour essayer de comprendre. Pour ne pas sombrer.

C’est ainsi que ses souvenirs refont surface dans le désordre. Et du passé lui revient l’histoire de sa belle-mère, qui a grandi dans une famille d’accueil et qui a cherché à lui apprendre comment aimer ; celle de la petite Trinity, aussi, qui a été accueillie par une de leurs voisines et qui a passé son enfance au côté de son fils, continuant à rendre visite à Jules bien après que son amitié avec Xavier se soit étiolée.

C’est facile de s’entendre ou d’aimer les gens qui sont comme nous et qui nous sont assignés par la naissance ou par le sang ; c’est plus difficile d’aimer ceux avec qui nous ne sommes pas d’accord ou de ressentir de l’empathie envers ceux qui ne font pas partie de notre cercle de valeurs. Et c’est quelque chose que je voulais explorer dans le roman.

Lisa Moore

Ces liens qui nous unissent

Derrière Comment il faut aimer, il y avait également la profonde consternation de l’autrice face au nombre d’agressions violentes commises envers des jeunes hommes ces dernières années à St. John’s. La ville qui l’a vue grandir dans les années 1970 et 1980 enregistrait à l’époque les taux de criminalité les plus bas du pays, dit-elle ; les policiers n’y portaient même pas d’arme. Mais le clivage qui domine notre époque est en train d’accorder une nouvelle permission à la cruauté, au détriment de l’empathie, à son avis.

Et face au chaos, l’écrivaine se fait l’observatrice de ces liens qui nous unissent – parfois à notre insu – de manière indéfectible.

« Je m’intéresse à la complexité de nos vies sociales et à la façon dont toutes nos interactions influencent la vie des autres, que nous le voulions ou non. Et je m’intéresse à la formation de notre personnalité face à la société, à la manière dont la société exerce une pression sur chacun d’entre nous et nous façonne, ainsi que le pouvoir dont nous disposons pour façonner la société, en tant qu’individus et en tant que groupe. »

Son prochain roman, qui doit paraître à l’automne en anglais, est coécrit avec Jack Whalen, un homme qui a été enfermé durant son adolescence dans une institution gouvernementale, la Whitbourne Boys Home. Quand on lui demande si l’écrivain a une mission, elle répond avec réserve. Si c’était le cas, avance-t-elle, ce serait de créer de la beauté ; ou, du moins, « quelque chose » qui nous aiderait à voir la beauté dans le monde. Et rien que cela, pour elle, serait un acte radical en soi.

En librairie le 30 janvier

Comment il faut aimer

Comment il faut aimer

Boréal

488 pages