Onze membres d’honneur de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ), dont Michel Tremblay et Gilles Vigneault, demandent au syndicat de soumettre au vote la vente de son siège social historique, au 3492, avenue Laval, à Montréal. « Vendre la Maison des écrivains, c’est vendre son âme », avertit quant à lui Jacques Godbout, fondateur de l’association littéraire en 1977, dans une lettre adressée au ministre de la Culture.

« La transformation de l’UNEQ en un syndicat centré principalement sur les conditions économiques de ses membres, accolée à votre décision de vendre la Maison des écrivains, nous inquiète », écrivent les signataires dans une lettre obtenue par La Presse et envoyée aux administrateurs de l’association syndicale le 9 janvier dernier.

Les membres d’honneur Nicole Brossard, Pierre Morency, André Gervais, Fernand Ouellette, Anthony Phelps et Monique LaRue ont aussi cosigné la missive, tandis que Joséphine Bacon a ajouté sa voix après l’envoi. L’UNEQ compte 40 membres d’honneur, dont seulement 13 sont toujours vivants. Onze ont paraphé l’appel au scrutin.

Le conseil d’administration du syndicat fait face à une pluie de critiques depuis que les nouvelles cotisations syndicales imposées aux membres (2,5 %) et aux non-membres (5 %) ont été rendues publiques à la fin de l’année 2022. Ces sommes ont été entérinées le 20 juin dernier dans une assemblée générale virtuelle où seuls 46 des quelque 1600 membres étaient présents.

« Le climat de grogne et de méfiance qui règne en ce moment au sein de l’UNEQ risque d’être néfaste à son développement », redoutent les signataires.

En raison d’une « erreur de procédure », la question des cotisations fera l’objet d’un nouveau vote lors d’une assemblée extraordinaire en 2023, a tranché la présidente de l’UNEQ, Suzanne Aubry. « Nous vous demandons formellement d’ajouter un point à l’ordre du jour […], soit la mise en vente de la Maison des écrivains, ce qui permettrait à tous les membres de se prononcer sur cette question, qui revêt une importance primordiale », lit-on dans la lettre envoyée au conseil d’administration.

Lettre au ministre

Au même moment, les onze mêmes membres d’honneur, l’ex-directeur général de l’UNEQ Pierre Lavoie (1993 à 2010), cinq anciens présidents – Denise Boucher (1998 à 2020), Louis Gauthier (1996 à 1998), Denis Monière (1980 à 1982), Stanley Péan (2004 à 2010) et Danièle Simpson (2010 à 2016) – ainsi qu’une quarantaine d’écrivains ont écrit au ministre de la Culture, Mathieu Lacombe, pour le sommer d’agir.

« Nous vous demandons de convoquer d’urgence les dirigeants de l’UNEQ pour dénouer cette impasse qui suscite parmi ses membres une dissension nuisible à l’application de la récente Loi sur le statut de l’artiste, malgré les nouveaux pouvoirs qu’elle lui confère », écrivent les 53 signataires.

En vertu de cette loi, depuis le 3 juin, l’association syndicale a notamment le mandat de négocier des ententes collectives avec les éditeurs.

Dans la lettre acheminée à Québec et consultée par La Presse, les signataires déplorent que la vente de la Maison des écrivains ait été adoptée par le conseil d’administration en septembre 2022 « sans aucune consultation des membres ».

La demeure du square Saint-Louis inauguré en 1992 « est davantage qu’un simple siège social », plaident des écrivains comme Jean-Paul Daoust, Denise Desautels, Paule Baillargeon, Yann Martel, Carole David et Louise Portal.

Tous redoutent que l’UNEQ fasse l’impasse sur l’une des deux missions de la Maison des écrivains, soit la promotion de la littérature, au profit de la seule défense des droits socio-économiques des écrivains. « Les écrivains qui ont fondé l’UNEQ voulaient à la fois faire la promotion de la littérature québécoise et agir pour assainir les relations avec les éditeurs littéraires », note la missive qui cite Jacques Godbout, fondateur de l’association en 1977. « Vendre la Maison des écrivains, c’est vendre son âme. »

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Denise Desautels

Questions de finance

Les auteurs de la lettre soulignent que les administrateurs de l’association, qui invoquent la « stabilité financière » comme motif de vente, n’ont jamais démontré « les avantages d’une telle vente ni sa nécessité », précisant que l’association dispose de plus de 1 million en placements.

Le prix de vente de la maison évaluée à 2,4 millions fait aussi l’objet d’inquiétudes, puisque l’UNEQ a déjà signé un bail pour ses nouveaux locaux, avenue de Gaspé, qu’elle partagera avec l’Union des artistes et la Guilde des musiciens et musiciennes du Québec. « L’UNEQ se sentira-t-elle pressée de céder la Maison à un prix désavantageux, plutôt que d’avoir à défrayer, en plus d’un loyer, les coûts d’une maison inoccupée et dont l’exemption de taxes sera retirée dès que le personnel aura quitté les lieux ? », demande-t-on.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Mathieu Lacombe, ministre de la Culture

Le ministre de la Culture, Mathieu Lacombe, se dit « bien au fait des réactions de certains membres » vis-à-vis de la vente de la Maison des écrivains. « Mais comme la maison n’a pas de statut en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel, ce n’est pas de mon ressort. »

Dans un courriel transmis à La Presse, M. Lacombe rappelle que l’UNEQ « est une organisation indépendante dont la gouvernance appartient à ses membres. » « Je sais qu’une nouvelle assemblée générale a été demandée et que celle-ci doit se tenir à la fin du mois. J’attendrai de voir ce que décidera l’assemblée des membres avant de me prononcer, s’il y a lieu. »

Dans un courriel à La Presse, l’UNEQ indique que son conseil d’administration se réunira le mardi 17 janvier, en après-midi. « Les lettres, que nous avons reçues ou dont nous avons eu connaissance, ainsi que toutes les demandes formulées par des membres, seront étudiées lors de cette réunion. Une communication publique suivra. »