L’une des principales raisons invoquées par l’UNEQ pour justifier la vente controversée de la Maison des écrivains – soit la fin de l’exemption de taxes foncières – n’aurait pas été un enjeu avant au moins 2027, a appris La Presse. Et le bâtiment historique du square Saint-Louis, inauguré en 1992 grâce à 600 000 $ d’argent public, pourrait très bien bénéficier d’une nouvelle exemption de taxes foncières s’il poursuit sa mission de promotion de la littérature.

L’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) a fait de la vente de son siège social, au 3492, rue Laval, l’un des « points marquants » de son plan d’action 2023-2025, une décision qui a déclenché une levée de boucliers dans le milieu littéraire. Depuis quelques jours, le conseil d’administration du syndicat est accusé d’avoir statué sur le sort de la Maison des écrivains en catimini, sans consultation officielle des membres.

Pour justifier la mise en vente, la direction invoque non seulement l’entretien régulier et les travaux de rénovation onéreux du bâtiment, mais surtout les « taxes foncières élevées ».

« L’exemption qui avait été obtenue à la suite d’un jugement de la Cour municipale de Montréal est réexaminée périodiquement, et son interruption prochaine augmentera considérablement le compte de taxes », écrit l’UNEQ dans une infolettre publiée sur son site internet le 15 décembre dernier.

« Nous estimons aujourd’hui que les taxes foncières pourraient s’élever à 70 000 $ à 80 000 $ par année », écrit l’organisation dans une déclaration transmise à La Presse.

[Cette dépense] représenterait entre 6 et 8 % de notre budget, et 35 à 40 % du total des cotisations annuelles des membres [en 2022].

L’Union des écrivaines et des écrivains québécois

Or, aucun réexamen de l’exemption n’est prévu dans les quatre prochaines années, a confirmé la Commission municipale du Québec (CMQ) à La Presse. « À moins de modifications majeures du propriétaire ou des activités des utilisateurs, la Commission n’a pas à réviser sa décision de 2018 avant un délai de 9 ans », soit le 24 mai 2027, écrit la porte-parole Isabelle Rivoal dans un courriel.

En 2018, la CMQ était d’avis que la Maison des écrivains répondait aux critères de la Loi sur la fiscalité municipale en hébergeant des « activités d’ordre informatif ou pédagogique destinées à des personnes qui, à titre de loisir, veulent améliorer leurs connaissances dans le domaine de la littérature ».

Nouvelles activités

Pourquoi l’UNEQ jette-t-elle l’éponge si vite, maintenant que la Loi sur le statut de l’artiste, adoptée en juin dernier, lui confère de nouveaux pouvoirs de négociation collective ?

« La répartition entre les bureaux dédiés à des activités syndicales, dont les surfaces sont amenées à croître, et les espaces réservés à l’accueil du public entre en ligne de compte, nous écrit l’UNEQ. La municipalité peut en tout temps procéder à une réévaluation de l’exemption lorsqu’elle apprend ou estime que l’immeuble ne satisfait plus ces exigences. »

Or, la Ville de Montréal n’avait nullement l’intention de demander un réexamen à la Commission municipale du Québec avant l’échéance, a indiqué à La Presse l’administration de la mairesse Valérie Plante.

En 2018, la Ville de Montréal ne s’était pas opposée à la démarche d’exemption de l’UNEQ. Et rien n’indique qu’elle le fera en 2027 si la Maison des écrivains conserve sa vocation culturelle. C’est toutefois la CMQ qui a le dernier mot.

« Il existe une grande différence entre ce que l’administration municipale va dire et ce que le service de taxation fait », argue toutefois l’avocat Daniel Payette, représentant de l’UNEQ qui a souvent plaidé devant la commission.

Défense ou promotion ?

La mission de l’UNEQ est au cœur d’un schisme entre ses anciens dirigeants, désireux d’animer la Maison des écrivains, et ses administrateurs actuels, axés sur le volet syndical.

Le conseil d’administration de l’UNEQ a entériné en septembre 2022 la vente de son « siège social ». Selon une entente préliminaire, elle devrait rejoindre l’Union des artistes avenue De Gaspé, dans un bâtiment qui abrite aussi notamment la Guilde des musiciens et musiciennes du Québec.

« L’UNEQ a toujours eu deux mandats : le mandat littéraire et le mandat de défense des droits socio-économiques de ses membres », souligne Danièle Simpson, présidente de l’association de 2010 à 2016.

Ce qu’elle a obtenu, c’est un pouvoir de négociation avec les éditeurs, et c’est parfait. Mais le gouvernement n’a pas dit à l’UNEQ de devenir un syndicat uniquement centré sur les besoins des écrivains.

Danièle Simpson, présidente de l’association de 2010 à 2016

Selon l’avocat Daniel Payette, membre de l’UNEQ, il est désormais impensable que la promotion de la littérature demeure l’« utilisation principale » de la Maison des écrivains, une condition prescrite par la Loi sur la fiscalité municipale.

« On est toujours proche de 50-50, dit-il. Il suffit que vous ajoutiez un bureau et un employé, et vous pouvez perdre l’exemption. Ça crée une situation extrêmement précaire. » Le syndicat devra par exemple embaucher des agents de grief, des conseillers juridiques et du personnel administratif, explique MPayette.

Pierre Lavoie, directeur général de l’UNEQ de 1993 à 2010, est toutefois convaincu que l’association peut maintenir ses activités syndicales à la Maison des écrivains – ou en télétravail – sans pour autant sacrifier son calendrier culturel. « Le salon Émile-Nelligan et la bibliothèque Bruno-Roy sont de grands espaces qui ont toujours permis la tenue d’activités littéraires », note-t-il.

Le virage syndical de l’UNEQ est un « changement radical, philosophique et culturel » qui nécessite l’approbation des membres, plaident d’ailleurs 53 signataires – d’anciens administrateurs et des écrivains tels que Michel Tremblay, Gilles Vigneault et Joséphine Bacon – dans une lettre adressée au ministre de la Culture, Mathieu Lacombe.

« Qu’adviendra-t-il des subventions que l’UNEQ reçoit des trois conseils des arts [500 000 $ en 2022] et de votre ministère, si elle met l’accent sur ses activités syndicales ? », demandent-ils.

Rassurer les membres

Le cabinet de la mairesse Valérie Plante assure être « sensible aux préoccupations du milieu », et espère à mots couverts que le conseil d’administration de l’UNEQ réexaminera sa position.

« Le bâtiment et la mission de la Maison des écrivains sont au cœur de l’identité de notre métropole culturelle et nous espérons que le conseil d’administration pourra rapidement rassurer ses membres quant à l’avenir de leur siège social », écrit Catherine Cadotte, attachée de presse principale du cabinet de la mairesse et du comité exécutif de Montréal.

Dans un courriel transmis à La Presse, le ministère de la Culture dit demeurer « vigilant » et précise qu’il collaborera avec la Ville de Montréal « si des mesures particulières doivent être prises ».

De nombreux membres de l’UNEQ ont écrit au conseil d’administration pour que la question de la vente de la Maison des écrivains soit inscrite à l’ordre du jour de la prochaine assemblée extraordinaire, où les cotisations syndicales controversées feront l’objet d’un nouveau vote.

Le conseil d’administration de l’UNEQ se réunira le mardi 17 janvier en après-midi pour étudier les « demandes reçues » de la part de ses membres.

De 335 000 $ à 2,4 millions ?

La Maison des écrivains a été achetée en 1990 pour 335 000 $ et a été inaugurée deux ans plus tard. Montréal, Québec et Ottawa se sont partagé les coûts de la mise à niveau du bâtiment à hauteur de 600 000 $, l’équivalent de plus de 1 million aujourd’hui. La valeur du bâtiment historique, libre d’hypothèques, est estimée à 2,4 millions par la Ville de Montréal. « Nos premières évaluations nous laissent plutôt croire que la valeur de la maison sur le marché se situera entre 1 300 000 $ et 1 600 000 $ », précise l’UNEQ dans un courriel.