La Bête vient d’accoucher d’un rejeton, qui lui emprunte quelques traits tout en s’en affranchissant. Nom de baptême : Maple, où une prostituée en probation s’improvise enquêtrice pour enrayer les desseins d’un sadique assassin. Polar servi à la sauce Goudreault et nappé de son écriture claire-obscure, ce roman « trashicomique » fait sauter les dentiers tout en brodant dans la dentelle.

La Bête, trilogie largement encensée signée par le poète et travailleur social, sommeille encore au sein de David Goudreault. Mais plutôt que de la ranimer pour une virée dans le sillon des précédentes, il préfère la convoyer sur de nouveaux chemins de traverse. Éclaircissons ces propos nébuleux : Maple met en scène le personnage homonyme tiré du même univers, où les marginalisés se piquent à la poésie. Fraîchement sortie de prison, mais plus de prime fraîcheur, cette vieille fille de joie se met en tête de résoudre une série de crimes odieux ensanglantant les rues d’Hochelaga, ciblant des victimes fricotant de près ou de loin avec le milieu de la prostitution. Détraqué parmi les détraqués, le tueur ligote ses proies à la corde façon shibari avant de les contraindre à dévorer leurs propres doigts.

Parallèlement à l’enquête policière, Maple écume les bas-fonds des quartiers pour mettre la main sur « le Ficeleur », passant au crible ceux qu’elle suspecte du crime : El’Chinois, qui fait profil bas dans son dépanneur ? Le travesti ambivalent Pierre Précieuse ? Ti-Ness, joueur compulsif ? Ou carrément Claude, son propre étalon amoureux ?

Polar(isant)

Au fil des cartes abattues et des phalanges sectionnées, les rebondissements s’enchaînent, relatés avec la même plume d’écrivain qui avait brossé la Bête — un style où la vulgarité et l’élégance couchent dans le même lit, à l’image de la brochette de personnages bruts et attachants qui nous est servie. David Goudreault, malgré le processus douloureux de la rédaction, n’a pas boudé son plaisir de pouvoir lâcher son fou (dans tous les sens du terme) dans ce roman. « J’avais un réel désir de renouer avec un univers libre, complètement dépouillé des diktats moraux de l’époque. J’avais hâte d’offrir ce cadeau à mon lectorat. J’avais l’impression qu’on m’attendait quelque part dans le même univers que la Bête », confie l’auteur.

Par contre, c’était très important d’aller un peu ailleurs, de prendre un personnage féminin avec une personnalité forte et complexe, et surtout d’aller dans le polar.

David Goudreault

En effet, l’écrivain, confessant être un puceau du polar, s’est lancé dans de laborieux et foisonnants préliminaires, tout en se biberonnant aux grands noms du genre ; Georges Simenon, Agatha Christie, Guillaume Morrissette… « J’ai vraiment voulu respecter les codes du polar, mais dans mon univers à moi. On trouve un rapport mathématique à la littérature encore plus grand dans le polar, avec une question de dosage et d’équilibre pour rendre tout cela fluide », pose-t-il.

Au cœur de sa démarche, se positionner à la confluence d’influences de plusieurs univers (travail du sexe, enquête policière…), « tout en gardant les coudées franches pour être dans la fiction ».

Taper sur tout, surtout sur soi

Les coudées franches ont accouché d’un langage cru, et l’auteur ne s’est pas privé de truffer son terrain de jeu de scènes sans gants ni pincettes ; mais qui, passées à la moulinette littéraire et affublées d’expressions familières poétiquement détournées dont Goudreault a le secret, se retrouvent étrangement parées d’un vernis élégant.

Maple est même coiffé d’un avertissement humoristique prévenant de l’acidité de la chose. Un extra que l’auteur aurait jugé superflu jadis, symptomatique d’une mutation d’atmosphère. « Ces dernières années, dans le milieu littéraire et intellectuel occidental, il y a des préoccupations nouvelles. Certaines sont essentielles, d’autres me semblent exagérées. Je suis très critique par rapport aux positions morales que prennent parfois les acteurs et actrices du milieu littéraire », lance-t-il, précisant qu’il pioche sur tout un chacun, y compris sur sa propre pomme.

Il faut taper sur ceux qui ont le pouvoir, et en ce moment, il s’agit de ceux qui peuvent censurer, briser des carrières, donnent le la sur ce qu’il faut dire, penser et croire. Mais ce n’est pas de l’acharnement, je tape sur tout le monde.

David Goudreault

Maple nous fait pénétrer dans le milieu de la prostitution, lequel, tout comme le monde carcéral, éveille en l’écrivain une certaine curiosité. « L’univers de la criminalité m’a toujours intéressé, c’est un moment dans la vie des humains où la complexité de la psyché ressort. Dans le travail du sexe, il y a quelque chose de fort et de vulnérabilisant qui m’intrigue, comment on peut se mettre en danger tout le temps en gardant le contrôle sur sa vie et son corps. Je n’y porte aucun jugement : la seule fois où le mot “pute” est utilisé de façon péjorative, c’est par rapport à un homme », relate-t-il.

La Bête au repos

La Bête continuera-t-elle de produire des petits dans la veine de Maple ? David Goudreault n’en sait rien et préfère ne pas y songer pour l’instant, malgré les suppliques de ses lecteurs qui rêvent d’un récit cette fois consacré à Traumathys, autre personnage enfanté par la trilogie.

D’ailleurs, ne cherchez pas l’auteur dans un quelconque Salon du livre, il n’y mettra pas les pieds, souhaitant reprendre un peu son souffle. D’ailleurs, même s’il a beaucoup apprécié sa participation à l’émission Bonsoir bonsoir !, il s’est récemment résolu à mettre un point final à cette exposition publique trop énergivore. « J’ai eu la prise de conscience violente que je ne voulais pas être une personnalité publique, mais un écrivain qui existe par ses livres. J’avais l’impression que plus ça allait, moins on voulait me lire et plus on voulait m’entendre. »

Il consacrera plutôt exclusivement son capital neuronal à son projet de spectacle littéraire prévu pour 2024.

Maple

Maple

Stanké

240 pages