« On dirait que je commence à maîtriser ça », glisse Louis-José Houde au détour de la conversation, dans les loges du Bordel, entre deux spectacles. Ça ? Ça, comme dans l’art du stand-up, qu’il pratique pourtant depuis plus de 25 ans, avec un certain succès. La Presse a assisté à une des dernières soirées de rodage de Tu n’es pas spécial, le troisième « show caché » de celui qui ne cache pas sa joie d’être devenu papa.

Dans l’épisode précédent, Louis-José Houde nous confiait, avec une fragilité qu’on ne lui connaissait pas, sa tristesse de voir les années filer pendant que son rêve de devenir père lui échappait. Intitulé Mille mauvais choix, ce cinquième spectacle aura transformé la perception du public à son égard, en plus de redéfinir les contours de ce que peut être un spectacle d’humour au Québec.

Mais, parce que le bonheur loge parfois à l’adresse voisine du malheur, l’humoriste allait bientôt rencontrer la femme avec qui, enfin, il aurait la félicité de se reproduire. À 46 ans, Louis-José Houde est aujourd’hui le père d’un vigoureux poupon de 10 mois. « Moi, je voulais éviter ce passage-là que beaucoup de mes collègues empruntent », confie-t-il au sujet de l’obligatoire œuvre inspirée de la parentalité.

Puis, mon fils est né et tout d’un coup, je vivais énormément de choses que je n’avais jamais vécues. Je n’avais même pas besoin de m’imposer de séances d’écriture, les choses devenaient drôles d’elles-mêmes. Et j’ai appris que lorsque les choses ne sont pas forcées, en humour, c’est bon signe.

Louis-José Houde

Déjà, dans la cafétéria de l’hôpital où est survenu le miracle de la vie, quelque part entre la somnolence et l’euphorie, papa
Louis-José notait des idées dans son petit carnet. Il transcendera donc rapidement sa pudeur initiale, surtout que son âge « vénérable » et le petit fossé générationnel entre son amoureuse et lui singularisent son récit de sa paternité.

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Louis-José Houde en rodage au Bordel

« Je vous parle en direct d’un grand bonheur. Je vous parle en direct d’une grande fatigue », annonce-t-il avec beaucoup de poésie, et de justesse, au début de Tu n’es pas spécial, qu’il ne doit présenter qu’une trentaine de fois au cours des prochains mois dans des lieux comme la Cinquième Salle de la Place des Arts, le Gesù ou le Petit Champlain, un choix qu’on comprend, mais qu’on ne pourra s’empêcher de gentiment lui reprocher, tant ce spectacle compte parmi ses meilleurs.

C’est que ce troisième « show caché » contient tout ce qui fait d’un spectacle de Louis-José Houde un spectacle de Louis-José Houde – ses répétitions d’une même idée en plusieurs variations synonymiques, ses adresses au public sur le ton d’un vieux crooner, ce lancinant fond de mélancolie –, mais aussi des couleurs inédites chez lui, dont une formule particulièrement paillarde qu’il se plaît à claironner et une entrée en matière d’un rythme étonnamment posé. « Je n’ai jamais commencé un show aussi lentement, dit-il, et c’est voulu : je n’ai jamais commencé un show aussi fatigué. »

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Louis-José Houde en rodage au Bordel

Un show de petites salles

Dans les loges du Bordel, où il terminait son rodage, à la fin de décembre, Louis-José Houde affichait, durant la pause entre son spectacle de 19 h et celui de 21 h, la mine caractéristique (traduction : heureuse et un peu ensommeillée) d’un père déchiré entre la gratitude de pouvoir sortir un instant de la maison et la petite culpabilité de laisser maman seule au front.

S’il a choisi d’insérer Tu n’es pas spécial dans sa franchise des shows cachés, mise sur pied en 2007 afin de donner une deuxième vie à des retailles de son premier spectacle, c’est parce qu’il n’était pas question de tout de suite repartir sur les vastes routes de la province, mais surtout parce que Mille mauvais choix lui a appris qu’un texte enraciné dans une matière très intime vieillit vite.

Proclamer sur scène qu’on ne croit plus en l’amour et masser les pieds de sa blonde enceinte une fois rentré dans le confort du domicile conjugal : notre homme vivait, à la fin de sa précédente tournée, une sorte de dissonance cognitive.

J’ai tout de suite trouvé que mon nouveau matériel sonnait comme un show de petites salles, dans le ton de la confidence. Je me voyais raconter ça aux gens qui me suivent de près, et non quatre soirs au Théâtre Maisonneuve, un peu comme un groupe rock qui tourne trois mois et c’est fini.

Louis-José Houde

En comparaison avec l’arc de carrière des Rolling Stones, un de ses groupes préférés, où en est Louis-José Houde ? « À peu près à Some Girls. » L’album de 1978 sur lequel Jagger et Richards ont tenté de montrer aux punks qu’ils étaient plus punks qu’eux ? « Ouain, là, je ne veux pas avoir l’air de dire aux jeunes “tassez-vous !”, surtout que c’est vraiment ce qu’il y a de stimulant avec le Bordel et l’humour québécois présentement : je peux autant être inspiré en voyant Martin Petit qu’une fille de 21 ans qui commence. »

« Je disais Some Girls », précise celui qui a désormais sept enfants de moins que papi Mick, « parce que je pensais plus à l’idée d’un nouveau souffle. Et à la tournée de Some Girls, qui a duré seulement 25 dates. » Et qui est aujourd’hui considérée comme une des plus marquantes des Stones.

Une suite lumineuse

Louis-José Houde a toujours eu l’impression de parler, sur scène, « avec le cœur et le ventre ». « On pense tout le temps qu’on le fait, mais avec le recul, je me rends compte que je ne le faisais pas tant que ça », observe-t-il.

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Louis-José Houde

C’était jusqu’à Mille mauvais choix, un tournant sur le plan créatif, dont Tu n’es pas spécial peut être considéré comme la suite positive et lumineuse, le spectacle d’un gars qui ne dirait certainement pas non à une petite sieste, mais qui va beaucoup mieux que la dernière fois que vous l’avez vu.

« Mille mauvais choix m’a ouvert sur plein de façons d’écrire de l’humour », explique-t-il.

Je me suis rendu compte que ce n’est pas obligé d’être drôle en partant. Il y a des prémisses plus longues dans ce nouveau show, où je fais juste parler, et c’est le fun quand même.

Louis-José Houde

« Je n’ai pas à courir après le punch, je peux prendre le temps de mettre mes affaires en place, ajoute-t-il. Surtout que faire rire aux deux secondes, je l’ai beaucoup fait et, comme n’importe quel artiste, le son change. »

S’il poursuit là où il avait laissé, Louis-José Houde défriche aussi de nouveaux territoires dans une tirade durant laquelle il s’insurge contre le triomphe de l’émotion, à cause duquel chaque émission de télé, chaque évènement sportif, chaque publicité doit absolument finir en séance lacrymale, avec musique pompeuse et énumération par la famille du concurrent des épreuves qui l’ont affligé.

Une inclination médiatique « abrutissante et extrêmement gluante », doublée d’un dévoiement du sens premier des mots par nombre d’entreprises, dont cette grande enseigne du beigne calorifique, où on vous accueillera en utilisant le mot « invité », ou chez le concessionnaire automobile, qui vous félicitera de rejoindre la « famille » en vous remettant vos clés.

« C’est prendre les gens pour des imbéciles que d’aller piger dans des mots qu’on aime et de les mettre n’importe où », se désole celui qui a rarement autant sonné comme un disciple de George Carlin que durant ce segment, qui transcende le simple registre de l’observation, pour mieux toucher, peut-être pour la première fois, au commentaire social. « C’est un manque de respect pour les mots et un manque de respect pour les gens. Je ne suis pas épais de même ! »

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Louis-José Houde en entrevue

Une question de vulnérabilité

Louis-José Houde continue donc de travailler à devenir plus vrai. Mais qu’est-ce que la vérité pour un humoriste ? Il écarquille les yeux.

« On dirait que j’écrirais une thèse là-dessus, laisse-t-il tomber. Ce n’est pas nécessairement raconter quelque chose qui est arrivé pour vrai, même si ce que je raconte est la plupart du temps vrai. Et ce n’est pas non plus essayer de raconter quelque chose dans lequel les gens se retrouvent, parce que moins t’essaies, plus ils se retrouvent. »

Louis-José réfléchit. « Le mot vulnérabilité revient beaucoup trop, tout le temps, mais je pense qu’il y a quelque chose là. J’ai reçu beaucoup de témoignages par rapport à Mille mauvais choix de gens qui me disaient que ça leur avait fait du bien de m’entendre avouer que j’étais seul, déprimé, que j’avais commencé à prendre des antidépresseurs. Il y a 15 ans, je n’aurais même pas envisagé d’aller là sur scène, ça m’aurait trop dérangé. »

« Quand tu parles de quelque chose qui te tient à cœur, ajoute-t-il, t’as un bout de chemin de fait dans la vérité. » De quoi en conclure qu’en abordant sa paternité, une des plus puissantes et vulnérabilisantes expériences humaines, Louis-José Houde ne pourrait davantage toucher à la vérité.

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