You’re gonna rire 2 ne pourrait mieux porter son titre : avec son nouveau spectacle, Sugar Sammy reprend exactement où il avait laissé, sans moins, ni plus.

Sugar Sammy nous prévient d’emblée : il y aura 90 % du matériel de son deuxième spectacle que nous adorerons et 10 % qui fera mal. Mais ce 10 %, précise-t-il, ne sera pas le même pour tous. Comprendre : l’humoriste asticotera également tout le monde, sans épargner qui que ce soit.

Absent des scènes québécoises depuis 2016, le Montréalais s’est entre-temps exilé à Paris. Pourquoi avoir quitté sa terre natale au moment où il était, comme il le prétend, « au sommet de son art » ? Parce que n’importe quel humoriste québécois à qui tout réussit se trouve face à deux choix, se répond Sugar Sammy à lui-même : recommencer à zéro en France ou faire des pubs d’épicerie. Pour les fans de Martin Matte, cette vanne sera à placer dans le 10 % qui fait mal.

Mais Sugar Sammy s’en fout de s’aliéner qui que ce soit, clame-t-il. You’re gonna rire 2, qu’il présentait vendredi soir à la salle Pierre-Mercure, reprend en ce sens exactement là où il avait laissé avec sa précédente tournée, à la différence près qu’il offre cette fois-ci une soirée bilingue partout au Québec, et non seulement dans le 514.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Sugar Sammy

Le début du spectacle, dans lequel il pose son regard acide sur l’insularité du showbiz local et confie sa confusion face à certains monuments de la culture québécoise, qu’il ne connaissait pas du tout, trace les contours de là où Sugar Sammy brille le plus. C’est lorsqu’il parle d’une expérience qui n’aurait pu arriver qu’à lui-même, et à personne d’autre, que le quarantenaire se distingue avec le plus de singularité.

Son segment sur la frilosité de certains de ses collègues comiques, qui brideraient leur causticité afin de ne pas perdre la chance d’un jour animer La poule aux œufs d’or, compte parmi ses rares moments de réelle audace, dans la mesure où la crainte de se mettre à dos quelqu’un d’influent semble effectivement guider les choix de bon nombre des artisans du merveilleux milieu culturel.

Répartie imparable

Comme tous les humoristes qui s’abreuvent aux stéréotypes socioculturels, pour les exagérer ou les déconstruire, Sugar Sammy se situe toujours un peu en banlieue du cliché, un territoire que son art de la formule assassine lui permet souvent de contourner. Ses blagues les plus choquantes – les femmes qui mettraient leur désir d’égalité de côté au moment de payer l’addition, au restaurant – le sont moins par ce qu’elles disent, que par leur flagrante usure. Il faudra aussi un jour qu’on nous explique l’obsession que semblent nourrir tant d’hommes cisgenres pour le pénis que possèdent ou pas les personnes trans.

S’il tient peut-être un bon filon lorsqu’il évoque le féminisme à deux vitesses de certaines femmes blanches, trop peu solidaires du combat des femmes racisées, Sugar Sammy l’abandonne trop tôt pour qu’en émerge quoi que ce soit. Là où un Bill Burr est toujours prêt à montrer tout ce que son cœur et son âme recèlent de laideur, afin de mieux mettre en lumière l’hypocrisie de ses contemporains, le Québécois déborde rarement du ton d’un animateur de bien-cuit.

Improvisateur agile, à la répartie imparable, Sugar Sammy s’illustre à nouveau dans ses moments d’interaction avec la foule, qui font ressortir ce qu’il a de plus attachant.

Il existe un parfait équilibre entre chaleur et sarcasme chez ce Sugar Sammy, celui du Montréal pluriel, qui sait taquiner adéquatement tous les membres de son public, parce qu’il en connaît suffisamment sur toutes les cultures qui tissent la courtepointe québécoise.

Chacun des moments où il effleure le sujet de sa famille ou de sa vie personnelle semble d’ailleurs beaucoup plus riche que ses lignes sur Donald Trump ou Marie-Pier Morin, tout aussi délectablement bien tournées soient-elles.

Malgré ses nombreux détracteurs, Sugar Sammy jouit d’un grand amour de la part des Québécois, qui lui ont remis l’Olivier de l’année en 2013 et 2014, et cette relation mériterait d’être approfondie.

Le grand niveleur de l’humour

Même si beaucoup d’humoristes québécois disent désormais s’inspirer du stand-up à l’américaine, la plupart d’entre eux demeurent d’abord et avant tout des raconteurs, tributaires de l’art du récit. Sugar Sammy possède en ce sens l’indéniable avantage de s’inscrire réellement dans cette tradition étatsunienne du coq à l’âne dont notre écosystème comique compte peu de purs représentants. Quitte à offrir un spectacle sans réel fil conducteur, si ce n’est que sa conception de l’humour comme grand niveleur, qui ramènerait hommes et femmes, hétérosexuels et homosexuels, anglophones et francophones, à leur commune humanité.

Sugar Sammy ne semble au bout du compte pas tout à fait savoir s’il souhaite être un humoriste politique ou s’il se satisfait d’être un très bon humoriste de comedy clubs à l’américaine. Chose certaine : ses contempteurs voient plus de politique dans son travail qu’il n’y en a réellement.

Comme nombre de suites de films à succès, You’re gonna rire 2 est donc l’occasion d’un agréable moment en compagnie d’un personnage qu’il fait bon de retrouver, mais à propos de qui on n’en aura pas appris davantage.

You're gonna rire 2

You're gonna rire 2

Sugar Sammy

En tournée partout au Québec

7/10

Consultez le site web de l’artiste