Quelque part entre une citation inspirante sur fond de coucher de soleil et une émission de radio humoristique des années 1990, Jérémy Demay présente avec Naturel un troisième spectacle dans lequel la vulnérabilité ne se manifeste qu’en une série de formules toutes faites.

Jérémy Demay a passé la majeure partie de sa vie, dit-il, à vouloir montrer qu’il est une bonne personne, alors qu’il n’est après tout qu’un humain, avec ses failles et ses faiblesses. Jérémy Demay n’en peut plus de porter ce qu’il appelle « un masque social ». C’est avec ce constat que l’humoriste amorçait mercredi soir à l’Olympia son troisième spectacle, dont l’affiche le montre flambant nu, sautant dans l’eau.

L’heure du grand dévoilement, des vraies confidences, était donc venue, pouvait-on en déduire. Soixante-quinze minutes plus tard, personne n’en avait pourtant appris davantage à son sujet, si ce n’est qu’il adore les « matantes », déteste les gens qui publient sur les réseaux sociaux des photos de leur café latte et méprise les influenceuses, un aveu pour le moins culotté de la part de quelqu’un qui surgit sans cesse dans nos écrans pour tenter de nous vendre des meubles.

Son spectacle est évidemment précédé d’un message enregistré nous rappelant que la soirée est présentée par la grande enseigne de l’ameublement à laquelle il est associé.

Du beau et du moins beau

Nous avons tous, à l’intérieur de nous, « du beau et du moins beau », pense Jérémy Demay. Exemple ? Joël Legendre, un homme que l’on croyait parfait et qui, en mars 2015, faisait la manchette après avoir reçu un constat d’infraction pour des gestes sur lesquels il faudra un jour cesser de revenir, ne serait-ce que par égard pour l’animateur et metteur en scène.

Mais au-delà de ces considérations purement humaines, il est surtout difficile de s’imaginer que la référence la plus fraîche à l’esprit de l’humoriste date d’il y a plus de huit ans. Les coûts exorbitants de la construction du Centre Vidéotron, inauguré en septembre 2015, ont aussi inspiré une blague à celui qui gagnerait peut-être à ouvrir un journal un peu plus souvent.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Les spectateurs de la nouvelle tournée de Jérémy Demay ne paieront pas pour le décor, parce qu’il n’y en a pas.

Le moment le plus consternant de Naturel s’amorce cependant lorsque Jérémy Demay évoque son amitié avec une personne de petite taille, qu’il s’autorise à qualifier de « nain », parce que cet ami en question lui aurait donné la permission d’employer ce mot dont tous les organismes de défense des droits des personnes de petite taille décrient l’aspect réducteur et déshumanisant.

Pire : l’humoriste tente ensuite d’expliquer pourquoi il est rare de croiser une vieille personne de petite taille, un passage dont le punch consiste à assimiler ces « vieux nains » à des statuettes de jardin.

Qu’en 2023, un humoriste aussi populaire que Jérémy Demay se permette de relayer des stéréotypes à ce point usés et dénigrants se comprend difficilement. Si l’humour et la transgression vont parfois main dans la main, il faut que cette transgression ait un sens, aspire minimalement à déconstruire les idées reçues, et non à les nourrir.

Moments touchants

À quoi Jérémy Demay et son technicien jouent-ils en tournée ? À « Si tu me regardes la graine, tu paies », une activité qui consiste à ne pas zieuter le pénis que son camarade sort de son pantalon, au risque de devoir lui verser une somme d’argent. Le principal intéressé offre cette anecdote avec une sorte de fierté juvénile qui confine au malaise, tout comme son obsession pour la grosseur de son engin.

Les chats qui ne se comportent pas comme les chiens lorsque leur maître rentre à la maison. La paresse des employés de restaurants de beignes ou de sous-marins. Les femmes qui peinent à réussir leur stationnement en parallèle.

Aussi élimées que des vieux meubles, les idées de Jérémy Demay appartiennent à une autre époque.

Mais la banalité de son imaginaire ne serait pas aussi affligeante si l’humoriste ne tentait pas, en fin de spectacle, de s’ériger en sage et de forcer deux moments touchants, dans lesquels il s’engage avec la subtilité d’une fanfare désaccordée.

Changement subit d’éclairage, petit piano touchant en trame musicale : Jérémy Demay raconte d’abord le moment où il a demandé la main de sa blonde, puis récite en conclusion le message qu’il aurait enregistré à l’attention de ses deux filles, s’il devait mourir avant qu’elles aient quitté l’enfance.

C’est soudainement l’auteur des livres de croissance personnelle La liste et La suite qui prend le dessus et qui déballe de grandes vérités du genre : « Être un héros, c’est avoir la force d’être vulnérable. » Si bien que le strip-tease émotif promis d’entrée de jeu se résumera à un nu-vite.

Les spectateurs de la nouvelle tournée de Jérémy Demay ne paieront pas pour le décor, parce qu’il n’y en a pas. Ils paieront néanmoins pour beaucoup de vide.

Naturel

Naturel

de Jérémy Demay

En tournée partout au Québec

4/10

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