L’auteur et comédien Fabien Cloutier a convié le public montréalais au Club Soda, mardi et mercredi, pour lancer son nouveau one man show Délicat. Un spectacle inégal, rugueux et cru, mais sans surprise, livré avec une langue inventive et imagée, dont lui seul a le secret.

Le Club Soda était bondé mercredi soir, pour la présentation de Délicat, nouvelle offrande de Fabien Cloutier, qui a privilégié la formule cabaret – plus intime et conviviale – même si la foule, bruyante, était si compacte qu’on peinait à croiser les jambes.

On s’en rend compte dans ce brouhaha, les humoristes sont vraiment les joueurs de tennis des arts de la scène. Seuls sur le terrain, avec leur petite raquette, face à un public qui gronde. Rempli d’attentes. Ça prend du courage.

Et des attentes, nous en avions, bien sûr. L’auteur et comédien de la série Léo a lui-même mis la barre assez haut avec ses spectacles de théâtre solo Scotstown et Cranbourne, dans lesquels il s’est révélé être, à travers son personnage du chum à Chabot, un conteur d’exception.

Avec ses spectacles Assume et Prédictions, il a poursuivi sa migration vers le continent de l’humour avec des hauts et des bas, mais certainement plus de rugosité, tout en continuant d’endosser les pires préjugés de la société pour mieux les dénoncer. Avec cette langue finement grossière capable de nous planter durablement des images dans la tête. Pour le meilleur et pour le pire.

Délicat est la suite de cette traversée. Mais le chemin est rocailleux.

Il sera question de sa vie de tournée, de sa curiosité pour les marchés d’artisans, de ses relations avec ses voisins, des odeurs qui le révulsent ou encore de son dégoût des spas, ces lieux de perdition « qui crient le mot vaginite »…

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

L’auteur, acteur et humoriste Fabien Cloutier

Dans chacun de ces récits, son personnage rustre et grossier, qui s’indigne pour un oui, pour un non, n’est jamais très loin, mais les blagues qui ponctuent ses histoires sont parfois simplettes, au ras des pâquerettes, parfois douteuses. Comme cet aparté sur le navet, qu’il aimerait goûter après l’avoir expulsé, pour voir si c’est meilleur… Ou sur l’anorexie, salutaire quand on considère le coût exorbitant du panier d’épicerie…

Le public, qui réunissait pourtant beaucoup d’amis et de fidèles, était soudain moins bruyant…

Miroir cruel

Un long segment du spectacle est réservé aux changements climatiques, que Fabien Cloutier – qui hurlait parfois inutilement dans son micro – s’est amusé à ridiculiser. Le procédé est connu, c’est une façon astucieuse de dénoncer les écolosceptiques, mais les gags du type « on pourrait faire pousser des bananes à Longueuil » y sont hyper prévisibles.

Les numéros sur le commerce équitable, l’autosuffisance alimentaire ou les problèmes gastro-intestinaux seront quant à eux vite oubliés.

Cela dit, Fabien Cloutier ne s’est pas rendu dans la cour des grands par hasard.

Il parvient à faire mouche dans des récits épiques décrits avec moult détails, où il surligne à grands traits notre individualisme, que ce soit en voiture ou dans notre salon. Avec notre écran de 75 pouces qui nous permet de « voir des reportages en 4K sur des pays pauvres ».

Son récit d’un mariage célébré pieds nus au Bangladesh, la mariée apparaissant « sous une arche de sandales Crocs, recrachées par la mer », vaut son pesant d’or. Idem pour son plaisir coupable pour les noix de cajou (cashews), cueillies dans des conditions difficiles par des femmes qui s’abîment les mains en les retirant de leur enveloppe toxique.

Autre segment porteur : le récit de ses amitiés avec des gens qui mènent des vies plus dures que lui, comme cet ami « célibataire végane, qui ne plaît à aucune fille, et qui cuisine avec de la farine d’épeautre », une façon de se comparer, et de se consoler. Jusqu’à ce qu’il se rende compte qu’il est sans doute lui-même le faire-valoir de ses nouveaux amis, bouclant ainsi la boucle.

C’est dans ces petites saynètes, qui incluent un polaroïd assez jouissif de la vie en van (la van life) et une histoire joliment absurde d’une chèvre dépendante au cannabis, que l’on retrouve le génie de Fabien Cloutier, capable de nous tendre ce miroir cruel, qui nous renvoie une image peu flatteuse, mettant en relief notre lâcheté. De ces moments-là, on en prendrait plus.

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Délicat

Délicat

Fabien Cloutier

En tournée au Québec

6/10