« C’est une mitraillette à gags », lançait Mat Lévesque à la fin de sa première partie en présentant la tête d’affiche, une phrase qui résume bien l’ambition de Simon Delisle : générer des rires en abondance, en ne s’en remettant essentiellement qu’à un texte, sans flafla. Son très bon spectacle, Invincible, s’arrêtait pour la première fois au Club Soda vendredi soir.

Sans décor ni réel effet de mise en scène, Simon Delisle pratique ce que l’on pourrait appeler un humour viande-patate, au sens où il livre ses blagues sans aucun artifice, en tissant ses numéros d’observations, d’anecdotes personnelles et de diatribes contre notre docilité collective.

Qu’il gagne sa vie comme auteur auprès de plusieurs de ses camarades (Rachid Badouri, Mariana Mazza, Dominic et Martin) n’étonnera pas : le vainqueur de l’édition 2020 de l’émission Le prochain stand-up affiche une présence scénique efficace, mais pas à tout casser. Drôle de hasard : La Presse était assise, vendredi, derrière Sylvain Larocque, un autre humoriste œuvrant en coulisses et dont le travail de scène a toujours joui d’une grande admiration auprès de ses collègues.

Autrement dit : Simon Deslisle est, comme le veut la formule consacrée, l’humoriste préféré de votre humoriste préféré.

« J’ai eu la chance de faire l’École de l’humour avec Simon Delisle », écrivait Adib Alkhalidey sur Twitter en avril. « Et j’insiste sur le mot “chance” parce qu’il est à l’origine de 90 % des fous rires que j’ai eus lors de la dernière décennie. »

Tu pensais qu’c’tait ça que c’tait, mais…

Les misères du confinement, l’hypocrisie de certains influenceurs, l’absurdité de s’entraîner au gym de façon extrême : Simon Delisle pétrit des sujets n’ayant rien de spécialement original, mais avec un regard suffisamment oblique pour éviter de trop répéter des choses que l’on aurait entendues ailleurs.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Simon Delisle

Sa principale force tient en fait à sa connaissance manifestement intime du paysage humoristique actuel. Un numéro sur le végétarisme ? On en a déjà entendu plein, et la plupart d’entre eux ridiculisaient la prétendue fragilité de ceux qui refusent de manger de la viande.

Simon Delisle, pour sa part, fait mine un instant de s’engager dans cette voie, avant d’effectuer un virage à 180°, pour mieux se moquer de ces carnivores forcenés qui ne peuvent imaginer un repas sans steak. Habile stratégie que d’ainsi déjouer nos attentes.

Un numéro sur les difficultés de la paternité ? « J’adore avoir des enfants », annonce le père d’un garçon et d’une fille, las d’entendre tous ces parents à bout de nerfs, qui ne savent que se plaindre de leur progéniture. Et rebelote pour son numéro sur sa vasectomie, qui ne dépeint pas l’intervention en question comme une séance de torture, ce qui aurait été prévisible, mais comme le moindre des gestes à faire pour un homme au sein d’un couple hétérosexuel. Une approche que l’on pourrait encapsuler en empruntant cette phrase célèbre à un certain groupe de rap : tu pensais qu’c’tait ça que c’tait, mais c’tait pas ça que c’tait.

Comme un homme libre

Après avoir consacré une bonne partie du début du spectacle à la pandémie, Simon Delisle trouve réellement son erre d’aller en décrivant tout ce qui maintient les membres de la classe moyenne dans l’asservissement plus ou moins consenti : le gouvernement, le patronat, les banques. Son ton, dans ses tirades les plus fulminantes, trahit son admiration pour l’Américain Bill Burr.

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Simon Delisle

Et si les états d’âme de l’homme blanc dans la trentaine ne sont pas exactement ce qui émeut le plus par les temps qui courent, il serait réducteur, même erroné, d’assimiler la rage de Simon Delisle à celle de certains animateurs de radio, qui cherchent sans cesse des boucs émissaires sur lesquels déverser leurs frustrations.

L’indignation de Delisle couve en réalité un appel non pas à faire payer qui que ce soit, mais à s’inventer un quotidien qui ressemblerait le plus à la liberté.

« On devrait se permettre d’être désagréable », blague-t-il en évoquant toutes ces façons inoffensives de se délester de sa colère qu’il a développées et qui l’aident à cultiver sa propre paix intérieure, voire à tendre vers la gratitude.

Gratitude ? C’est que Simon Delisle a été éprouvé par le mauvais sort plus que la moyenne des gars de 37 ans. Atteint de diabète de type 1, l’humoriste conclut son spectacle en dressant la liste des extraordinaires malchances qui l’ont happé depuis son arrivée sur Terre – assez pour remplir quelques épisodes de la défunte émission de Denis Lévesque. Sans surligner son message, il semble ainsi vouloir nous rappeler que la vie est trop courte pour la donner sans résistance à quelqu’un d’autre qu’à soi et à ceux qu’on aime.

Et lorsqu’il avoue en tombée de rideau se sentir invincible quand il se trouve sur scène, il est évident qu’il décrit moins un sentiment de puissance que lui procurerait le micro que cette inaliénable joie à laquelle lui permet de goûter l’art du stand-up, quelque chose comme l’illusion d’être entièrement libre.

Invincible

Invincible

Simon Delisle

En tournée partout au Québec

7,5/10

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