Alors qu’elle se trouve au cœur d’une tempête sans précédent marquée par d’importantes compressions et des décisions jugées hâtives par certains, la PDG de CBC/Radio-Canada, Catherine Tait, s’est envolée pour l’Australie afin de participer à une conférence sur la radiodiffusion publique.

La chose m’a été confirmée par Leon Mar, directeur des relations avec les médias et de la gestion des enjeux. Ce voyage, prévu depuis le mois de septembre dernier, est une invitation de l’Australian Broadcasting Corporation (ABC). En tant que présidente du Groupe de travail mondial pour les médias publics, Catherine Tait doit prendre part à des rencontres avec des leaders de l’industrie et participer à une discussion intitulée The Vital Role of Public Broadcasting in a Modern Democracy en compagnie de David Anderson, directeur général de l’ABC.

Leon Mar a tenu à préciser que l’ABC couvrait les frais de transport et d’hébergement de ce voyage et que Catherine Tait, qui s’offre un congé, « prend en charge toutes ses autres dépenses […], car elle prendra du temps pour des activités personnelles lors de son séjour ».

Une source fiable rapporte que des conseillers en communication de la PDG ont tenté de lui faire comprendre que ce voyage, dans le contexte actuel, était une mauvaise idée. « Je n’ai rien de plus à ajouter », s’est contenté de me répondre Leon Mar, lundi soir.

Je ne sais pour vous, mais si je venais d’annoncer à mes milliers d’employés que je m’apprête à faire des compressions budgétaires de 125 millions de dollars qui vont passer par l’élimination de 800 postes, que des sources gouvernementales affirmaient que les décisions que j’ai prises étaient « prématurées » et que la ministre responsable de la société que je dirige me ramenait à l’ordre en m’invitant à répondre « aux questions que les gens se posent présentement » au sujet de la rémunération des dirigeants de Radio-Canada, il me semble que la première chose je ferais serait d’annuler ce voyage pas vraiment essentiel et d’affermir mes arrières.

Nous ferions sans doute tous cela, mais pas Catherine Tait.

Comment peut-elle effectuer un aussi long trajet pour se rendre à l’autre bout du monde alors que des centaines d’employés se demandent, à quelques jours du temps des Fêtes, s’ils vont perdre leur emploi ?

Comment peut-elle quitter Ottawa alors que des discussions cruciales ont lieu en prévision de l’entrée en vigueur des lois C-11 et C-18, notamment en ce qui a trait au partage du fonds de 100 millions constitué par Google ?

Ne devrait-elle pas être en train de discuter avec sa garde rapprochée de la possibilité ou non d’offrir une prime à ses cadres ? Rappelons que l’animatrice du National, Adrienne Arsenault, a talonné la grande patronne du diffuseur public à ce sujet peu de temps après l’annonce de la suppression de 600 emplois et de l’abolition de 200 postes vacants. Catherine Tait a laissé planer un doute quant à ses intentions.

Cette femme est pour moi un mystère. Elle est insaisissable. Et étonnante.

Il y a quelques jours, on a appris que Catherine Tait avait été invitée à comparaître devant le Comité permanent du patrimoine canadien afin de venir expliquer les coupes de 125 millions qu’elle souhaite faire. Le comité veut entendre la PDG lors de sa première réunion de 2024. J’ai très hâte de suivre cela.

Mais au lieu de se préparer à cette importante rencontre, Catherine Tait va visiter le pays des kangourous. Étonnante femme, vous disais-je !

Ce voyage inopportun n’est pas sans rappeler celui de la présidente de la FTQ, Magali Picard, qui à peine après avoir posé le pied à Dubaï a rebroussé chemin. On peut aussi penser au voyage que Guy Grenier, secrétaire général de l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM), a fait au Brésil alors que l’organisme était au cœur d’un grand scandale.

À son retour de Dubaï, Magali Picard a expliqué aux journalistes que son absence de Montréal n’aurait rien apporté de plus au bon avancement des négociations, mais elle comprenait que dans la « perception » du public, cela envoyait un mauvais message.

C’est exactement la même chose pour Catherine Tait. Sans doute qu’elle peut régler plusieurs choses à distance et que des gens compétents dans son entourage peuvent faire avancer les dossiers. Mais n’empêche, par respect pour les employés qu’elle plonge dans un climat d’incertitude, la PDG aurait dû se transformer en socle.

Cette décision de Catherine Tait risque d’entacher sa relation avec la nouvelle ministre du Patrimoine canadien, Pascale St-Onge. Questionnée à la Chambre des communes, la ministre a refusé de dire si elle avait toujours confiance en la PDG de CBC/Radio-Canada. Ça regarde mal !

En attendant, Pascale St-Onge prend les devants et met sur pied un comité d’experts qui se penchera sur l’avenir de CBC/Radio-Canada. Irons-nous vers un accroissement du financement du diffuseur public afin que celui-ci dépende moins de la publicité ? Cette question devra être au cœur de la réflexion, à mon avis.

Ce souhait se trouvait dans la lettre de mandat remise à son prédécesseur, Pablo Rodriguez, en décembre 2021.

En 2016, cette avenue a été proposée dans un mémoire sur l’avenir de la société d’État déposé par Hubert T. Lacroix, président-directeur général de CBC/Radio-Canada.

À un moment donné, ça serait bien que les choses bougent enfin à Ottawa.