Crise des médias, désertion du public, histoire de préjugés au sujet de l’accent québécois, l’année 2023 a été celle de plusieurs luttes. À travers cela, Michel Houellebecq, Buffy Sainte-Marie et La Zarra ont fait parler d’eux. Et pas pour les bonnes raisons !

Mauvais choix

PHOTO LIONEL BONAVENTURE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Michel Houellebecq, en 2019

Il arrive qu’à cause d’un geste malheureux, la carrière d’un artiste pique soudainement du nez. Deux exemples de cela sont venus de la France au cours de la dernière année, d’abord d’une chanteuse débutante, mais aussi d’un auteur chevronné. La Zarra, cette artiste maroco-québécoise qui a représenté la France au dernier concours Eurovision, s’est pointée à la finale munie d’une chanson très séduisante, d’une mise en scène soignée et d’un look impeccable. Elle est arrivée avec la ferme intention de décrocher la première place. Déçue de voir qu’elle n’obtenait qu’une 16place, la chanteuse a baissé puis levé son majeur (on appelle ça un toz) devant les caméras du monde entier. Résultat : le formidable tremplin dont elle aurait dû jouir s’est cassé en deux dans le temps de le dire. L’autre exemple d’un spectaculaire dérapage est l’auteur Michel Houellebecq et le curieux film « porno » d’un réalisateur néerlandais dans lequel il apparaît avec des prostituées. Découvrant les images de la bande-annonce, l’auteur a tenté de bloquer sa sortie. Dans un ouvrage intitulé Quelques jours dans ma vie, Houellebecq a décrit cette période, sans doute l’une des plus sombres de sa carrière.

Cet affreux accent québécois

IMAGE TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE LA BALADO

Alone – A Love Story, de Michelle Parise

En octobre dernier, j’ai signé une chronique pour dénoncer la décision de CBC Podcasts, la division qui produit et diffuse des balados en anglais pour la société d’État, d’avoir confié l’adaptation en français de la série Alone – A Love Story à une entreprise établie en France. Je précisais que l’équipe d’OHdio, la plateforme qui fait la même chose au Service français de Radio-Canada, avait tenté de faire comprendre à ses collègues anglophones que ce n’était pas une bonne idée. « On ne voulait pas un français québécois, pour favoriser l’intérêt à l’international », a dit Cesil Fernandes, producteur exécutif chez CBC Podcasts, pour défendre sa décision. La chose est remontée rapidement au bureau de Catherine Tait, PDG du diffuseur public, qui s’est empressée de stopper cette opération. C’est l’équipe d’OHdio qui sera maintenant responsable de réaliser l’adaptation française de cette série pour l’ensemble du public francophone. On espère que les Français apprécieront les couleurs de notre accent. Ils n’arrêtent pas de vanter sa beauté quand on les visite.

Que la vraie Buffy Sainte-Marie se lève

PHOTO CHRIS YOUNG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Buffy Sainte-Marie au Toronto International Film Festival Tribute Awards, en septembre 2022

Depuis des décennies, l’artiste Buffy Sainte-Marie symbolise une présence autochtone forte dans le monde musical canadien. C’est une pionnière, une source d’inspiration pour plusieurs artistes. Ainsi, imaginez la surprise du public canadien lorsque la CBC a rapporté avoir trouvé l’acte de naissance de l’artiste qui indique qu’elle est née en 1941 dans le Massachusetts et que ses parents sont blancs. Des membres de sa famille aux États-Unis ont déclaré à la CBC que Buffy Sainte-Marie n’avait pas été adoptée et n’avait pas d’ascendance autochtone. Celle qui a créé la chanson Now That the Buffalo’s Gone, sur la perte des terres autochtones, a tenu à répondre aux journalistes qui ont mené l’enquête. « Être un Indien n’a pas grand-chose à voir avec le suivi du sperme et la tenue de registres coloniaux : cela a à voir avec la communauté, la culture, les connaissances, les enseignements, qui vous revendique, qui vous aimez, qui vous aime et qui est votre famille », a déclaré l’artiste aujourd’hui âgée de 82 ans. Ses origines autochtones ont toutefois disparu de la biographie qui figure sur son site web officiel.

Année noire pour les médias

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

L’année 2023 a sonné le glas des journaux Métro.

En août, on a appris la « fin des activités » des 17 publications du groupe Métro Média qui assuraient une couverture indispensable de l’actualité locale. Des dizaines de jeunes collègues ont perdu leur emploi. Cette triste annonce s’est ajoutée à la longue liste des médias qui ont fermé leurs portes, réduit leurs effectifs ou diminué leur rayonnement. Je pense à la suppression des éditions papier des journaux des Coops de l’information (Le Soleil, Le Droit, La Tribune, Le Nouvelliste, etc.), l’abolition de l’édition du dimanche du Journal de Montréal et les nombreux signaux qu’envoient de grands quotidiens anglophones depuis quelques mois. Combien en faudra-t-il ? demandais-je. Combien d’autres signes seront nécessaires pour que l’on mesure pleinement l’ampleur de la crise que traversent les médias de notre pays ? Après la fermeture des journaux Métro, il y a eu l’annonce de l’abolition de 547 postes à TVA et de 800 autres à Radio-Canada. L’année 2023 fut sans contredit une année noire pour les médias canadiens.

À quoi servent les jurys ?

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

L’artiste Adrian Stimson tient une illustration du concept de son équipe, sur les plaines LeBreton, à Ottawa, le 19 juin.

L’une des choses qui m’ont le plus choqué au cours de l’année est l’affaire du monument destiné à commémorer la mission du Canada en Afghanistan et qui doit être installé sur les plaines LeBreton, à Ottawa. Rappelons qu’à la suite d’un concours de design, un jury a décidé que l’œuvre proposée par l’artiste Luca Fortin, de la firme d’architecture Daoust Lestage Lizotte Stecker, de Montréal, et de Louise Arbour, ex-haute-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, était le meilleur choix. Or, le gouvernement a quand même décidé de soumettre les œuvres finalistes à un sondage auprès d’anciens combattants. Résultat : le 19 juin dernier, deux heures avant l’annonce, on a avisé les gagnants que le gouvernement avait décidé de sélectionner un concept créé par une autre équipe formée de l’artiste visuel Adrian Stimson, un ancien combattant des Forces armées membre de la Première Nation des Siksikas en Alberta et du groupe d’architectes paysagistes MBTW, de Toronto. Des documents obtenus par le Bloc québécois montrent que le bureau du premier ministre s’est intéressé de près à ce dossier. Bref, un jury d’experts prend une décision, laquelle est remise en question par un sondage bidon, lequel sert de prétexte au gouvernement pour s’élever au-dessus de la mêlée. On appelle ça de la démocratie déguisée pour l’Halloween.

Crise du public

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

L’Italie, de la Comedia dell' arte aux Souvenirs de Florence de Tchaïkovski, concert de l’Orchestre symphonique de Montréal au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts, le 19 août

Au cours de l’année 2022, j’ai abordé la question des spectateurs toxiques qui empoisonnent la vie de leurs voisins en parlant durant un spectacle ou un film, en circulant pendant la représentation ou en injuriant le personnel de salle. Je ne peux terminer l’année en cours sans parler des spectateurs… qui ne vont plus au spectacle. Prix des billets, problème d’accessibilité, offre surabondante, difficulté à trouver du stationnement (du moins à Montréal), toutes ces raisons sont évoquées par ceux qui ne vont plus voir de spectacles. Je me suis permis d’ajouter une autre raison : l’offre alléchante de l’univers numérique à laquelle nous avons accès de notre sofa moelleux. La prochaine année sera sans aucun doute marquée par une profonde réflexion sur notre relation au monde des arts vivants. Que peut-il encore nous apporter ? Et nous, pourquoi devrions-nous renouer avec le plaisir unique de la scène ?