L’une de mes entrevues préférées à vie a été celle que j’ai faite quand j’ai visité l’atelier de l’artiste Henriette Valium qui venait de mourir, à 62 ans, en 2021. Bouleversée par l’hommage que son fils Olivier Henley lui avait rendu sur Facebook, et parce que j’avais croisé cet homme sympathique et talentueux autrefois, j’étais allée jaser avec Olivier et Silvia Gerome, sa dernière compagne, dans « l’antre de la bête », un garage qu’il avait patenté pour lui seul.

Patrick Henley, alias Henriette Valium, était d’abord pour moi un bédéiste, d’ailleurs surnommé « le pape de la bédé underground », mais, en visitant son atelier et en voyant ses dernières œuvres, j’ai surtout découvert un grand artiste jusqu’au bout de ses gros doigts capables d’une minutie délirante et d’une débrouillardise hors du commun. Un des rares vrais personnages de la contre-culture des années 1980-1990, qui a marqué pour toujours les Foufounes électriques et qui a eu une grande influence sur les bédéistes québécois et français qui l’ont suivi.

Lisez la chronique « Chez Henriette Valium »

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, ARCHIVES LA PRESSE

L’atelier de l’artiste Henriette Valium en 2021

Lors de cette entrevue, Silvia Gerome, encore sous le choc de la perte de l’homme qu’elle aimait, promettait que son œuvre ne serait pas oubliée et prévoyait des expositions. Elle a tenu parole. Il y a eu une chouette exposition à la maison de la culture Janine-Sutto l’an dernier. Au début de 2023, un collectif d’artistes lui a rendu hommage à Marseille pour l’exposition Valium for ever/Valium pour toujours !.

Et maintenant, il y a Henriette Valium, sans ordonnance au Centre d’art Diane-Dufresne jusqu’à la fin de janvier, dont Silvia Gerome est la commissaire – sa première expérience.

« C’est ça, ma vie, maintenant, l’exposer et m’exposer », me dit-elle, entourée des productions de son défunt amoureux. Plus de 150 œuvres et artefacts sont présentés dans ce qui est jusqu’à présent la plus importante exposition consacrée à Henriette Valium, qui a touché à tout : dessin, collages, vidéo, musique, illustration, peinture, assemblages… Silvia affirme qu’elle aurait pu montrer le double, sinon le triple, car il a été très prolifique dans sa vie. « Il a tellement travaillé et il était rigoureux dans son archivage », explique-t-elle.

PHOTO GUILLAUME MORIN, FOURNIE PAR LE CENTRE D’ART DIANE-DUFRESNE

Silvia Gerome, dernière compagne de Patrick Henley (Henriette Valium) et commissaire de l’exposition

Les œuvres de Valium seront protégées dans un entrepôt, plutôt que dans un musée. Mais Silvia a immortalisé son incroyable atelier et les dernières années de l’artiste dans un livre de photos intitulé amour (in)fini, car c’est ainsi qu’il décrivait leur relation.

« L’art est à la fois le radeau et la tempête »

J’ai toujours eu l’impression que les Européens respectaient plus le travail de Valium que les Québécois, qui ne le connaissent pas vraiment. Les institutions ne voulaient pas de lui, et il ne voulait pas trop d’elles non plus. Il donnait l’impression d’un punk broche à foin, mais j’ai rarement vu une œuvre aussi pointilleuse et travaillée – un artiste l’a même décrit comme « un maniaque mental au crayon », ce qui est proche de la vérité. « L’art est à la fois le radeau et la tempête », disait Valium.

  • Détail de l’exposition Henriette Valium, sans ordonnance

    PHOTO GUILLAUME MORIN, FOURNIE PAR LE CENTRE D’ART DIANE-DUFRESNE

    Détail de l’exposition Henriette Valium, sans ordonnance

  • Détail de l’exposition Henriette Valium, sans ordonnance

    HOTO GUILLAUME MORIN, FOURNIE PAR LE CENTRE D’ART DIANE-DUFRESNE

    Détail de l’exposition Henriette Valium, sans ordonnance

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Silvia Gerome trouve que l’expo est un peu trop gentille à son goût, car elle n’a pas pu mettre les bouts les plus trash et osés de son œuvre, qui auraient pu choquer un public familial. Elle est belle quand même et fort instructive, selon moi, puisque Silvia l’a conçue en ordre chronologique, des affiches de spectacles des Foufounes électriques aux bandes dessinées et à un groupe de musique punk, jusqu’à ses toiles hyper complexes de son ultime projet, SERBIE JA CAM (JE SUIS), faites à partir de photos de soldats, de généraux et de prisonniers des deux guerres mondiales.

On voit ainsi l’évolution de Valium, d’où il part et où il s’en allait. J’ai même découvert qu’il avait créé des CD de musique d’ambiance dans les années 2000 – « pas écoutables », dit Silvia en riant – sous le pseudonyme de Laure Phelin.

« Tu imagines ce qu’il aurait fait s’il avait vécu 20 ans de plus ? », me demande Silvia. Je ne sais pas, mais je m’en doute. Il n’aurait jamais arrêté et je pense qu’on aurait fini par se l’arracher. Cette œuvre, c’est le contraire de la paresse, ce n’est pas possible, une telle obsession des détails, seul quelqu’un qui s’y consacre à temps plein peut produire une telle chose.

Si vous passez par le Centre d’art Diane-Dufresne, je vous invite à regarder de très près ces dessins et ces toiles qui ont tous été faits à la main, avec la même patience que sa mère qui était, paraît-il, une pro de la broderie.

Pour la suite, Silvia Gerome se dit ouverte à toutes les possibilités et aimerait bien qu’un documentaire soit réalisé sur Henriette Valium. Elle voudrait aussi qu’un musée prenne un jour sous son aile cette œuvre colossale, qui couvre plusieurs époques. Une chose est certaine : tant que Silvia sera là, Henriette Valium ne sera jamais au purgatoire.

Henriette Valium, sans ordonnance, au Centre d’art Diane-Dufresne (11, allée de la Création, Repentigny) jusqu’au 28 janvier 2024

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