Au gré des accords et des mélodies d’instruments électroniques, le public du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) a pu assister au processus de création de Flore Laurentienne lors de sa résidence d’une semaine qui se termine ce samedi, une première dans l’histoire de l’institution.

Entouré d’une quinzaine d’œuvres de Jean Paul Riopelle minutieusement sélectionnées, l’artiste a installé au pavillon Claire et Marc Bourgie, pendant cinq jours consécutifs, un studio constitué d’un nombre impressionnant d’instruments de marque Moog. La structure comportait des synthétiseurs analogiques, un orgue transistor ainsi qu’un piano électromécanique. Si la plupart des appareils font partie intégrante de la collection personnelle de Mathieu David Gagnon, le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) a pu ajouter au lot une pièce très rare conservée à l’Université Laval.

« Ce sont des machines qui ont été inventées dans les mêmes années que les créations de Riopelle », explique le compositeur en référence à la série de lithographies, Feuilles (1967), qui est accrochée aux cimaises de son « studio ».

La découverte de cette série, qui est passée davantage sous silence dans la production de Riopelle, a été une révélation pour Mathieu David Gagnon, qui crée par accumulation de couches de sons, ce qui n’est pas sans rappeler la technique de l’estampe.

La manière dont [Riopelle] travaille m’inspire, soit par superposition de couches. Je connaissais déjà son œuvre, mais pas ses lithographies.

Mathieu David Gagnon

Comme l’artiste peintre de renom, le musicien est également animé par la part d’ouverture et de hasard que comporte la création et qui, dans son cas, peut être apportée par les synthétiseurs analogiques. « Ma vie a changé le jour où j’ai acheté un Minimoog, un vieux. Quand [les instruments] ne font pas tout à fait ce qu’ils sont censés faire, ça donne des choses auxquelles on n’aurait pas pensé. »

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Flore Laurentienne en résidence au MBAM

« Voilà pourquoi il y a autant d’instruments ici : [ceux-ci] m’inspirent beaucoup », révèle le musicien qui analyse toujours en profondeur une section physique d’un synthétiseur en particulier avant de passer à une autre. Sa démarche justifie d’ailleurs le fait qu’aucun appareil numérique ne fait partie de l’espace de création.

Extrait d'une composition en devenir de Flore Laurentienne au MBAM

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Quand la musique entre au musée

Accompagné du musicien Antoine Létourneau-Berger, Mathieu David Gagnon a performé pendant huit heures par jour dans son « studio » au cours de cette résidence. « Je voulais rappeler les premiers concerts de minimalisme. [Les musiciens] jouaient des nuits complètes. […] Les gens entraient, sortaient, dormaient. C’était une affaire dans les années 1960. »

Selon l’artiste, l’idée de faire de la musique électronique au musée provient du concert de synthétiseurs Moog qui a eu lieu au Museum of Modern Art (MoMA) en 1969 dans le cadre de la série Jazz in the Garden.

Soulignons que si la musique s’est taillé une place petit à petit dans les institutions muséales depuis cet évènement new-yorkais, le Musée des beaux-arts de Montréal a su s’affirmer comme l’un des chefs de file du domaine grâce aux expositions Warhol Live (2008) ou, plus récemment, À plein volume : Basquiat et la musique (2022).

  • Le public assiste au processus de création de Flore Laurentienne, dans une salle du pavillon Claire et Marc Bourgie du MBAM.

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    Le public assiste au processus de création de Flore Laurentienne, dans une salle du pavillon Claire et Marc Bourgie du MBAM.

  • Mathieu David Gagnon, musicien derrière le projet Flore Laurentienne

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    Mathieu David Gagnon, musicien derrière le projet Flore Laurentienne

  • Mathieu David Gagnon avec son attirail d’instruments

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    Mathieu David Gagnon avec son attirail d’instruments

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Selon le directeur général du MBAM, Stéphane Aquin, « les musées aseptisent l’histoire de l’art [lorsqu’il] y a juste des tableaux. L’art se crée souvent dans un bassin d’idées, lesquelles vont d’une forme à l’autre. Ça se produit dans l’atelier, parfois avec la musique, dans la collaboration ». Il souligne que le MBAM « restitue la texture à cette histoire de l’art », ce qui peut donner une lecture fascinante des œuvres.

Dans le cas du projet de Flore Laurentienne, il s’agit toutefois de développer encore plus en profondeur cette relation entre musique et musée. « C’est une vraie résidence de création », poursuit Stéphane Aquin.

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Stéphane Acquin, directeur général du MBAM

Je trouvais qu’il y avait une réelle intelligence plastique de Riopelle [dans le projet de Mathieu David Gagnon]. Les concordances compositionnelles et structurelles entre musique et arts plastiques étaient riches.

Stéphane Acquin, directeur général du MBAM

Au-delà de la nature et de l’abstraction

L’idée d’une résidence a germé lorsque Flore Laurentienne a signé la musique originale de la balado Dépeindre Riopelle, diffusée sur la plateforme OHdio de Radio-Canada. « Je me suis surpris moi-même à être autant inspiré par Riopelle et par la peinture », confie le compositeur.

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La résidence de Flore Laurentienne au MBAM servira de prélude à un concert à la salle Bourgie le printemps prochain.

Les liens qui unissent les deux artistes sont loin de se limiter à un intérêt commun pour les paysages entourant le fleuve Saint-Laurent à partir des hauteurs du Kamouraska. Flore Laurentienne transcende les lieux communs d’une lecture de Riopelle axée sur la nature et les oies ou encore sur l’abstraction et les rapports à l’automatisme. C’est un nouveau regard hors des sentiers battus qui est posé. Le projet crée un rapprochement entre la musique électronique et les arts visuels des années 1950 et 1960 et interroge différemment l’esprit de l’époque.

Cette résidence de musique est-elle le début d’une nouvelle série au MBAM ? Il semble que le projet soit plutôt unique aux yeux de son directeur général, qui souhaite attendre qu’une autre proposition forte se présente. « Ce sont les artistes qui nous mènent », conclut-il.

Consultez le site de Flore Laurentienne

Un concert-évènement à la salle Bourgie 

La résidence sera le prélude à un concert à grand déploiement prévu le 23 mars prochain, à 19 h 30, à la salle Bourgie. Pour l’occasion, Flore Laurentienne sera composé d’un ensemble de 15 musiciens et musiciennes. Des instruments à cordes, à vent et de percussions se marieront à des synthétiseurs et au clavecin de la salle Bourgie.

Qui est Flore Laurentienne

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Mathieu David Gagnon

  • Mathieu David Gagnon est diplômé de la faculté de musique de l’Université de Montréal. Il a suivi une formation au Conservatoire d’Aubervilliers et au Conservatoire de Bordeaux.
  • Il dévoile son projet sous le nom de Flore Laurentienne avec l’album Volume I.
  • En 2020, il remporte deux prix à l’ADISQ et figure dans la présélection du prix de musique Polaris du meilleur album canadien de l’année. En 2021, il est finaliste dans la catégorie Album instrumental de l’année aux prix Juno. En 2022, il lance l’album Volume II.