Il y avait deux finalistes pour la meilleure série quotidienne au dernier gala des prix Gémeaux. Il n’en restera qu’un seul l’an prochain.

La productrice Fabienne Larouche l’a confirmé mardi : elle n’inscrira pas STAT dans la course aux Gémeaux de 2024. Conséquence ? Avec une seule entrée, soit Indéfendable, la catégorie des quotidiennes disparaîtra, bonsoir, et la série rivale de TVA rejoindra les téléromans diffusés « à la semaine » comme Alertes, Sorcières ou 5e Rang.

« Je comprends très bien ceux qui ne veulent plus participer aux Gémeaux en raison de la lourdeur de l’exercice, du coût important attaché à chaque nomination et de la politique derrière tout ça. La formule des Gémeaux, qui date d’une autre époque, a fait son temps. Ce qui n’enlève rien aux mérites des gagnants de cette année ou des années précédentes. Il faut repenser tout ça », martèle Fabienne Larouche, patronne de la société Aetios avec son mari Michel Trudeau.

PHOTO DENIS GERMAIN, ARCHIVES LA PRESSE

Michel Trudeau et Fabienne Larouche de la société Aetios

Fabienne Larouche exprime des doléances similaires à celles du couple formé par Sophie Lorain et Alexis Durand-Brault, de la boîte ALSO (Mégantic, Désobéir : Le choix de Chantale Daigle), qui ont aussi vertement critiqué la liste des gagnants de l’édition 2023.

Trophées éparpillés, manque de logique dans la distribution des statuettes, frais d’inscription démesurés, les reproches pleuvent sur ce gala controversé et ses catégories non genrées, qui ont été imposées et qui ne plaisent ni au public ni aux gens de l’industrie.

Nuance importante à apporter : le retrait d’Aetios et d’ALSO ne signifie pas que leurs émissions n’apparaîtront nulle part dans le palmarès des Gémeaux de 2024. Par exemple, si Suzanne Clément ou Geneviève Schmidt de STAT souhaitent concourir, Fabienne Larouche ne les en empêchera pas. Même chose pour le producteur et réalisateur Alexis Durand-Brault : « Si les acteurs ou les réalisateurs veulent s’inscrire, je ne vais pas dire non, je ne veux brimer personne, constate ce dernier. Mais honnêtement, je ne pense pas avoir beaucoup de demandes. »

En mode « retrait progressif », Fabienne Larouche n’a pas inscrit À cœur battant, Le bonheur, Sans rendez-vous, Les yeux fermés et Doute raisonnable au plus récent gala. Les scénaristes Danielle Trottier (À cœur battant) et François Avard (Le bonheur) ont aussi passé leur tour, note Fabienne Larouche en entrevue.

Par contre, les têtes d’affiche de ces émissions (Roy Dupuis, Ève Landry ou Magalie Lépine-Blondeau) ont toutes été soumises au vote du jury.

Parlons maintenant d’argent puisqu’il s’agit d’une source majeure d’irritation. Participer aux Gémeaux coûte très, très cher aux producteurs. Il faut d’abord payer l’adhésion annuelle à l’Académie (tarif ordinaire : 180 $), il faut ensuite payer pour inscrire chacune des émissions au concours (entre 180 $ et 1390 $ pour une seule entrée), il faut payer les billets pour assister aux trois galas (entre 400 $ et 600 $ le ticket) et il faut parfois payer pour le trophée lui-même, eh oui.

Si une équipe – comme la distribution du Bye bye – triomphe, c’est le producteur de l’émission qui assume les frais de fabrication des Gémeaux supplémentaires, qui se vendent 460 $ chacun. C’est beaucoup de sous.

Et la facture gonfle très vite. Alexis Durand-Brault et sa société ALSO ont dépensé 30 000 $ pour s’inscrire à la dernière fête des Gémeaux. « Je ne veux plus investir là-dedans », tranche Alexis Durand-Brault, dont l’œuvre Mégantic a mordu la poussière lors de la cérémonie pilotée par Pierre-Yves Lord.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Sophie Lorain et Alexis Durand-Brault

Chez KOTV, qui manufacture Entre deux draps, Plan B et Virage : double faute, les Gémeaux 2023 ont coûté environ 60 000 $. « Je suis en réflexion. Le gestionnaire en moi voudrait couper et utiliser l’argent différemment. Le créateur en moi ne veut pas manquer de respect à ses collègues », soupèse Louis Morissette de KOTV.

Richard Speer, président d’Attraction (En direct de l’univers, Les chefs !), paie lui aussi des dizaines de milliers de dollars, tous les ans, pour prendre part aux Gémeaux. « Ça coûte une fortune et qu’est-ce que ça rapporte ? Dans le contexte actuel difficile de la télé, on va réfléchir à l’endroit où on veut mettre cet argent », explique Richard Speer.

Le producteur Guillaume Lespérance de la boîte A Média, qui chapeaute notamment Tout le monde en parle et Les mecs, trouve également la note finale trop salée. « C’est très cher et c’est compliqué à gérer. Ça crée beaucoup d’insatisfaction. Aussi, il y a trop de prix. Ce qui fait qu’un prix est prestigieux, c’est sa rareté », rappelle Guillaume Lespérance, qui n’a pas inscrit Discussions avec mes parents ni Bonsoir bonsoir ! à l’édition 2023 des Gémeaux, question d’éviter des déceptions et des frais inutiles.

En 2022, 143 Gémeaux ont été décernés. Ce nombre a fondu à 94 cette année. L’apparition des catégories d’interprétation mixtes ou non genrées a fortement aidé à l’effort de resserrement.

Ce sont les 1289 membres de l’Académie – et non le public – qui attribuent les prix Gémeaux au Québec. Et qui sont ces membres ? Des recherchistes, des auteurs, des réalisateurs, des producteurs, des animateurs ou des techniciens, ça ratisse large.

Pour résumer un système de vote complexe, qui varie d’une catégorie à l’autre, sachez que de grands jurys, formés de six personnes de l’industrie audiovisuelle, pèsent lourd dans l’élaboration du tableau d’honneur.

Dans la catégorie « meilleure série quotidienne », par exemple, l’opinion de ce grand jury compte pour 50 % de la note finale. Une part de 30 % provient d’un scrutin ouvert à tous les membres de l’Académie et les derniers 20 % s’ajustent en fonction des cotes d’écoute mesurées à la télé classique.

Si une télésérie joue sur une plateforme numérique (Crave, Extra de Tou.tv ou Club illico), elle perd automatiquement ces 20 points. C’est bête de même. « Le producteur a le choix d’attendre que sa série soit diffusée à la télé, comme ç’a été le cas pour la quatrième saison de Plan B. Les règles sont claires et bien expliquées, sans toutefois être parfaites », remarque la directrice générale de l’Académie canadienne du cinéma et de la télévision au Québec, Chantal Côté.

Cette même Académie rappelle que les Gémeaux sont un concours. « Et dans un concours, il y a des gagnants, des perdants, des surprises et des déceptions », dit sa directrice générale.

Comme son animateur Guy A. Lepage à Tout le monde en parle, le producteur Guillaume Lespérance pose la question qui tue : à quoi servent les Gémeaux, en fin de compte ? « Personne ne m’a donné de la job parce que j’avais gagné des Gémeaux et je n’ai jamais négocié de hausse de salaire à un acteur parce qu’il avait gagné un Gémeaux », avance Guillaume Lespérance.

Bref, à part son prix de vente au détail de 460 $, combien vaut réellement un prix Gémeaux ?